Confinés par la covid-19

21 septembre 2020
Lorraine Tétreault.
Joanne Merrett, entraîneure sportive, dit que la plupart de ses clients plus âgés ont maintenu leur forme en marchant, en faisant du vélo et en suivant des cours en ligne.
 

Pour Lorraine Tétreault, le court de squash est une communauté. En temps normal, cette résidente d’Ottawa et athlète chevronnée qui compétitionne internationalement, s’entraîne quotidiennement dans un gymnase et joue dans diverses ligues plusieurs soirs par semaine. Elle appartient à un groupe très soudé, avec lequel elle aime avoir des activités sociales, surtout depuis qu’elle a pris sa retraite en tant que chimiste au gouvernement fédéral.

La dernière fois qu’elle a mis le pied sur un court remonte au 14 mars. Du jour au lendemain, tout s’est arrêté, dont son réseau social.

Confinée et incapable de voir ses enfants d’âge adulte, Mme Tétreault se souvient avoir dit à son mari qu’elle se sentait seule.

« Pour moi, le gym c’est comme mon quartier. J’ai ressenti un vide, car du jour au lendemain, toute ma routine a basculé. Bien sûr, j’arrive à m’entraîner un peu à la maison, alors ça va pour le conditionnement, mais ce n’est pas pareil. Le squash, c’était mon moment privilégié pour rencontrer des gens et, soudainement, c’est disparu. Mes compagnons me manquent. »

Depuis qu’elle n’a plus accès aux courts, la retraitée fédérale se rabat sur la plateforme Zoom deux fois par mois pour échanger virtuellement avec les membres de son groupe. Occasionnellement, elle roule à vélo jusqu’au domicile de son entraîneur pour une visite, en distanciation.

« Au moins, c’est un contact humain », dit Mme Tétreault. « Mais autrement, c’est très dur. »

Le docteur Samir Sinha dirige le Service de gériatrie au Centre de santé Sinai, à Toronto. Selon lui, la COVID-19 a été très éprouvante pour nombre d’aînés canadiens, surtout ceux qui vivent plus longtemps que leurs familles et amis, ou dont le réseau social est plus restreint et dispersé. Dans leurs cas, ils dépendent d’autrui pour socialiser et obtenir de l’aide. Et, si cela peut s’avérer être une bouée de sauvetage, ce n’est pas comparable au genre de réseau social serré qu’ils ont connu jadis.

Par ailleurs, « les gens âgés sont particulièrement vulnérables », car ce sont eux surtout qui risquent de mourir s’ils contractent le virus, affirme le Dr Sinha.

« On leur dit de s’isoler et on demande à leur entourage de ne pas leur rendre visite pour les protéger. Cette situation exacerbe le problème et fragilise les liens qu’ont noué les aînés au sein de leurs réseaux pour subvenir à leurs besoins de base », souligne-t-il. « En temps de pandémie, cela peut contribuer à un plus grand sentiment d’isolement, car ces degrés supplémentaires de distanciation peuvent aggraver l’état psychologique de ceux qui se sentent déjà isolés socialement. Comment demeurer autonome, alors que les personnes mêmes qui vous aident à l’être pourraient vous être fatales?

Jusqu’à récemment, enchaîne-t-il, nous avions une notion un peu floue du concept de l’isolement social, sans vraiment comprendre à quel point il pouvait nous être mortel, car le manque de contacts physiques ébranle sérieusement notre santé psychologique.

« Nous savons maintenant que la solitude équivaut à fumer 15 cigarettes par jour », déclare le Dr Sinha. « Elle peut augmenter de 45 % vos chances de décéder, notamment parce que l’isolement social peut mener à la dépression et à un sentiment de solitude. L’être humain est une créature sociale. Nous avons besoin de l’appui et de la présence d’autrui. Je crois que la majorité d’entre nous commence à réaliser combien la solitude et l’isolement peuvent être pénibles et déroutants. »

Le Dr Sinha ajoute que des patients lui ont confié que, après des mois d’isolement, les conversations téléphoniques et par vidéo ne sont plus satisfaisantes. Ils ont besoin d’être près d’un autre être humain, de le toucher.

Un besoin que Mildred McAfee comprend. Avant ce qu’elle appelle son « confinement » de la COVID-19, elle ne tenait pas en place, n’étant jamais chez elle pour bien longtemps.

Son fils s’en amusait souvent, affirmant qu’il devait consulter la secrétaire des activités sociales de sa mère pour organiser ses visites hebdomadaires à sa résidence privée pour aînés située à LaSalle, au Québec.

Et lorsque son fils ne venait pas lui rendre visite, Mildred prenait le volant pour aller le voir à Long Sault en Ontario, empruntait le train pour visiter sa fille à Pickering, ou faisait une balade à Montréal. Deux fois par semaine, elle retrouvait des amis pour jouer au bridge et, régulièrement, divertissait les résidents en s’installant au piano dans la grande salle de la résidence, pendant des heures.

Lorsque le confinement fut imposé à sa résidence, Mme McAfee, infirmière à la retraite et membre de l’Association des retraités fédéraux, dit avoir simplement trouvé de nouvelles façons de s’occuper. Elle commençait ses journées avec des exercices et faisait une sieste chaque après-midi, faisait des mots croisés et préparait trois repas par jour, savourant un verre de vin avec celui du soir.

Elle parlait régulièrement à ses enfants et petits-enfants sur Facetime et profitait pleinement des livres et des grands classiques du cinéma disponibles sur le site d’une bibliothèque en ligne.

Mais, lorsque sa fille lui a rappelé qu’elle n’avait eu aucun contact physique avec qui que ce soit depuis des mois, Mildred McAfee a soudain pris conscience de sa nouvelle réalité : « Quand elle m’a dit cela, j’avoue avoir eu vraiment le cafard, et je ne suis pas une personne négative. »

Mildred McAfee.

Mildred McAfee figures she fared better than many during the COVID-19 lockdowns. She made sure she established a new routine, exercised, played bridge online and stayed in touch with other seniors by phone.
 

Qu'à cela ne tienne; ce n’était rien pour freiner cette dynamique retraitée pendant bien longtemps.

« Il y a d’autres façons de s’adapter », dit-elle. « Je me suis fait un devoir de jouer de mon propre piano, une heure par jour. C’était ma thérapie l’année dernière quand mon mari était malade. Lorsque je joue, je suis dans ma bulle. À mon avis, c’est ce qui m’a aidée à rester saine d’esprit. »

Quant au bridge, plutôt que de retrouver ses amis autour d’une table deux fois par semaine, Mme McAfee joue désormais en ligne. « Cet après-midi, mon partenaire de bridge était en Turquie et nos adversaires, en Bulgarie et aux États-Unis. Nous bavardons en jouant; c’est fantastique. »

Par ailleurs, elle s’investit aussi auprès des autres résidents en téléphonant à 16 d’entre eux qui vivent seuls. Au début, elle n’en connaissait aucun, mais trois fois par semaine, elle leur téléphonait pour savoir s’ils avaient besoin de quelque chose.

« Ils attendaient mon appel. Je ne sais pas ce que c’est que d’être déprimée, mais je sais que certains en souffrent et que c’est dur », mentionne Mme McAfee. « Je crois m’en être sortie beaucoup mieux que bien des gens. Le confinement ne m’a pas été trop pénible, mais j’ai travaillé pour y faire face. Vous devez vous créer une routine, avoir un plan. Sinon, vous restez là, devant la télé. »

De fait, établir une routine semble être la clé du succès pour composer avec cette étrange nouvelle normalité. Et c’est exactement ce que font les clients plus âgés de Joanne Merrett, qui fréquentent régulièrement les cours de conditionnement que donne l’entraîneure sportive dans un centre communautaire à Ottawa.

« Les femmes de ce groupe sont très soudées et elles appartenaient toutes à la même communauté », souligne Mme Merrett. « Beaucoup font de la marche, du vélo, jouent au golf et suivent des cours en ligne. La plupart ne veulent pas abandonner leur routine et elles ont maintenu leurs activités sportives, non seulement pour préserver leur santé physique, mais aussi leur santé psychologique. »

Joanne Merrett affirme qu’un des bienfaits de la pandémie est que les gens sortent plutôt que de rester à la maison, à ne rien faire.


« Lorsque tout cela sera derrière nous, je crois que nous constaterons une nouvelle normalité en ce qui concerne le conditionnement physique des aînés. Nous verrons davantage d’aînés proactifs, car ils savent bien qu’être actif et en santé est un atout s’ils contractent la COVID-19 », ajoute-t-elle.


Même si Mme Merrett propose UpRise Fit, un programme d’entraînement en plein air à l’intention des clients qui souhaitent s’entraîner sur le terrain, elle constate qu’il n’enthousiasme pas les clients âgés.

« C’est plus difficile de les attirer dans ces cours à cause de la chaleur et parce que, malgré les mesures de , la proximité les inquiète », ajoute-t-elle.

Forcée d’abandonner le squash, Lorraine Tétreault a pour sa part commencé à marcher dans son quartier avec sa fille et à faire de longues promenades à vélo avec son fils chaque semaine, afin d’accélérer son rythme cardiaque régulièrement.

« Il a trouvé une activité qu’il aime beaucoup faire avec maman et, mieux encore, il l’invite ensuite à dîner », mentionne la fille de Mme Tétreault, au moment où cette dernière revenait d’un trajet de 27 km.

Pour sa part, le Dr Sinha estime que si nombre d’aînés s’enferment chez eux par crainte de la maladie, il serait au contraire tout à leur avantage de sortir et de rencontrer des gens.

Selon lui, « En règle générale, les aînés subiront les conséquences physiques et psychologiques néfastes de l’isolement social, notamment la solitude et la dépression. Je crois que les gens sont plus à risque de mourir des effets de l’isolement social, de la solitude ou de la dépression que des effets de la COVID-19. Dans l’ensemble, plus de Canadiens succomberont à ces effets qu’à ceux de la COVID-19.

Prendre soin de sa santé physique reste l’une des meilleures stratégies pour préserver sa santé mentale et, si certaines activités sont actuellement hors de portée, les solutions de rechange ne manquent pas.

Selon Mark Beauchamp, un professeur spécialisé en conditionnement physique et psychologie de la santé à l’École de kinésiologie de l’Université de la Colombie- Britannique, « l’Organisation mondiale de la Santé recommande l’activité physique comme étant l’un des meilleurs investissements en santé. Celle-ci offre un excellent rendement, car elle est gratuite et accessible à tous, quel que soit notre âge », dit-il.


Il est prouvé que l’activité physique peut servir de bouclier contre le stress et la dépression légère et modérée.


Pour ceux qui tentent de mener leur vie à l’extérieur de leur résidence, le Dr Sinha précise qu’il est possible de diminuer de façon appréciable les risques de contamination et de décès causés par la COVID-19 en respectant les mesures d’hygiène publique, comme de se laver les mains fréquemment, porter un masque lorsque nous sommes en contact avec autrui, à l’intérieur ou à l’extérieur, ou lorsque les mesures de distanciation physique ne sont pas possibles.

Une autre option? Faire de l’exercice chez soi. D’un bout à l’autre du pays, nombre d’aînés se sont tournés vers les cours de conditionnement physique en ligne. Depuis le mois de mai à l’Université du Nouveau-Brunswick, tous les cours que donne Caitlin Doyle, une instructrice au programme de conditionnement physique Silver Series à l’intention des aînés, sont en mode virtuel sur la plateforme Zoom. Avant chaque cours, les participants ont le temps de clavarder, comme ils le feraient en classe. Mme Doyle se dit impressionnée par la rapidité avec laquelle les aînés ont appris à maîtriser une technologie avec laquelle ils n’ont pas grandi, et leur engouement à l’utiliser.

« Les gens sont surpris de constater combien ils apprécient les cours virtuels », souligne Mme Doyle. « En y participant, ils se sentent plus motivés et responsables que lorsqu’ils font des activités en solo. De plus, ils se sentent moins isolés et moins anxieux et cela ajoute un peu de normalité dans leurs semaines. Même s’ils ne parlent pas précisément de leur santé mentale, on peut voir qu’ils se sentent mieux de reprendre une routine », dit-elle.

Même si elle considère important de faire bouger les gens, Caitlin Doyle peut échanger davantage avec eux en personne. À l’heure actuelle, plutôt que d’aider les gens à améliorer leur santé physique ou leur équilibre, elle estime les inciter plus à garder la forme chez eux.

Cet été, Mark Beauchamp mène une étude auprès de 600 adultes âgés, afin d’évaluer si l’exercice physique, exécuté dans le cadre d’un programme en interaction sociale (en respectant les mesures de distanciation), ou en solo chez soi, peut améliorer la santé et le bien-être d’adultes plus âgés, de façon significative. Les résultats serviront à concevoir des programmes à l’intention des aînés qui vivent seuls, dans le but d’améliorer leur santé physique et mentale.

« L’exercice est-il une solution de fortune ou peut-il avoir des effets valables et mesurables? », s’interroge le professeur Beauchamp. « Nous espérons tous que la pandémie prendra bientôt fin, mais si elle se prolonge pendant un an ou deux, nous devons savoir comment aider les gens. Il n’est pas réaliste de concevoir des programmes communautaires d’activité physique à l’intention des aînés qui sont particulièrement à risque. Dès lors, nous tentons de savoir s’il est possible d’élaborer des solutions de rechange pour remplacer nos habitudes en temps normal, et proposer des modèles qui fonctionnent. »

Pour nombre d’entre nous, les ordinateurs, mis à part leur utilité pour le conditionnement physique, nous ont donné un accès essentiel au monde extérieur. Séparé de sa famille et de ses amis lorsque le confinement a été instauré à la résidence où il habite, Harold Searle a pu rester en contact avec les siens et briser l’isolement grâce à Internet.

« Il est très futé à l’ordinateur », confie sa fille, Helen Searle. « Les aînés de 102 ans qui savent taper aussi vite que lui avec ses deux doigts sur le clavier à la vitesse de l’éclair ne sont pas légion. »

Depuis quelques mois, il est en contact avec une cousine au deuxième degré, qui est juge en Ontario. Ensemble, ils font des recherches en ligne sur leur généalogie.

« Elle et moi avons beaucoup en commun, notamment le droit », précise Harold Searle, lui-même un ancien de la Gendarmerie royale du Canada, qui vit maintenant à Halifax. « Elle est très intelligente et j’apprécie nos échanges. Elle m’a beaucoup aidé. »

Même s’il préfère sortir dans son quartier depuis l’assouplissement graduel des restrictions, M. Searle apprécie aussi ses visites virtuelles avec ses anciens collègues d’un peu partout dans la province, et les amis qu’il retrouve sur la page Facebook de RCMP Mates (les amis de la GRC) et ceux de l’Association des vétérans de la GRC, pour bavarder en buvant une bière. Pour lui, ces échanges en ligne sont un « cadeau du ciel ». « Quand je me réveille le matin, je sais que ma journée ne sera pas monotone. »

Dans le cas de Kelly McKeown, c’est par l’art qu’est venu ce cadeau du ciel. Elle n’avait jamais suivi de cours d’art, mais sa belle-soeur l’a convaincue de s’inscrire à des cours en ligne. Une fois les toiles achetées chez Michael’s, les deux artistes ont commencé à manier leurs pinceaux, en compagnie d’une centaine d’artistes parfois.

« Je n’avais jamais peint auparavant, mais j’aime beaucoup les cours. En moyenne, nous peignons une toile par semaine et ma mère souhaite maintenant exposer mes oeuvres chez elle », s’esclaffe la résidente de Mississauga.

Responsable de l’agenda social au sein de son groupe, Mme McKeown, une membre de Retraités fédéraux qui, après 32 ans, travaille toujours à l’Agence du revenu du Canada, menait une vie très active. Au début, vivre confinée chez elle dans la foulée de la COVID a été stressant.

« Peindre a vraiment été bénéfique pour ma santé mentale », souligne-t-elle. « Ça m’évite de me tracasser au sujet du monde extérieur. Même avec mes amis, j’étais toujours inquiète de les voir. Désormais, je ne m’inquiète que de moi. »

Quant à Mildred McAfee, elle a repris la route dès que les mesures de confinement ont été levées à sa résidence, en juin dernier. Lors de sa première sortie, elle s’est baladée dans le quartier du West Island, pour observer les passants. Sa deuxième sortie l’a menée à Long Sault, pour une visite surprise à son fils.

« C’est aussi une sorte de thérapie », dit-elle. « Je baisse les vitres et je pars.

Établie à Ottawa, Holly Lake est une journaliste primée de Terre-Neuve-et-Labrador. Elle est titulaire d’une maîtrise en journalisme de l’Université Western et étudie actuellement le droit à l’Université d’Ottawa.
 

Cet article a été publié dans le numéro de de l’été 2020 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?