La couverture fragmentée des médicaments au Canada

04 juin 2021
Assurance-médicaments au Canada.
Il est difficile de faire valoir que le système protège et favorise la santé lorsque les médicaments ne sont pas couverts.
 

De tous les États membres de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), le Canada est le seul pays doté d’un système de santé universel à payeur unique qui ne dispose pas également d’un programme d’assurance universel pour couvrir les médicaments sur ordonnance.

En raison de la fragmentation de la couverture des médicaments, de leur disponibilité et des systèmes d’approvisionnement, les Canadiens dépensent plus en médicaments par habitant que tout autre pays de l’OCDE doté d’un régime d’assurance-maladie.

La couverture des médicaments est disponible pendant une hospitalisation, mais elle cesse après le congé, à moins d’avoir un régime d’assurance-maladie privé, offert par un employeur ou dans le cadre d’un régime provincial. Selon l’Institut Angus Reid, en 2015, 20 % des Canadiens ont déclaré payer de leur poche la plupart de leurs ordonnances parce qu’ils ne sont pas assurés ou sont sous-assurés.

On pourrait soutenir que le fait de ne pas offrir une couverture permettant un accès équitable et universel aux médicaments va à l’encontre de l’objectif premier de la politique canadienne de la santé, énoncé dans la Loi canadienne sur la santé :

« La politique canadienne de la santé a pour premier objectif de protéger, de favoriser et d’améliorer le bien-être physique et mental des habitants du Canada et de faciliter un accès satisfaisant aux services de santé, sans obstacles d’ordre financier ou autre. »

Il est difficile de soutenir qu’un système protège, favorise et rétablit le bien-être physique et mental de la population, si les médicaments ne sont pas couverts. Sans s’étendre sur les raisons pour lesquelles

les soins dentaires, les soins de la vue, la physiothérapie et les soins de santé mentale ont également été exclus de notre système de santé public, voyons comment le Canada en est arrivé là. 

Depuis le début des années 1970, les Canadiens de toutes les régions ont eu accès à un régime public d’assurance-maladie pour les services médicaux et les soins hospitaliers. La Loi canadienne sur la santé garantit cet accès et prévoit des transferts de fonds du fédéral vers les provinces. Les provinces gèrent les services et les fournissent. Elles gèrent les fonds comme elles l’entendent, tout en respectant les normes définies par la loi fédérale.

Le gouvernement fédéral assure la couverture des médicaments pour une petite partie de la population, à savoir les réfugiés admissibles, les prisonniers fédéraux, les militaires, les vétérans et les autochtones, considérés comme des patients fédéraux. Les provinces couvrent les médicaments de manière différente pour divers groupes de population, avec des primes, des franchises et des scénarios de coassurance variés. La plupart des provinces couvrent les médicaments d’ordonnance (souvent avec des primes et des franchises) pour les personnes à très faible revenu, les jeunes enfants, les aînés, les personnes atteintes de maladies chroniques ou celles dont les ordonnances coûtent cher. Toutefois, dans l’ensemble, la couverture des médicaments est une courtepointe trouée et décousue, selon votre code postal.

Plusieurs commissions, comités et chercheurs recommandent l’assurance-médicaments depuis des décennies. La Commission royale d’enquête sur les services de santé de 1964 (la Commission Hall), qui a fourni le plan directeur de notre assurance-maladie nationale, recommandait également la création d’une assurance-médicaments parallèle.

En 1997, 33 ans plus tard, le Forum national sur la santé, présidé par le premier ministre de l’époque, Jean Chrétien, recommandait que les provinces et le gouvernement fédéral travaillent ensemble pour établir une couverture publique universelle des médicaments d’ordonnance, à partir de données comparatives de rentabilité. 

En 2002, la Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada (la Commission Romanow) a également recommandé de commencer à intégrer complètement les médicaments d’ordonnance à la Loi canadienne sur la santé, avec une série de politiques. En 2019, le rapport Hoskins recommandait d’établir un régime public universel à payeur unique d’assurance-médicaments, mis en place progressivement de 2022 à 2027. Enfin, en 2021, le projet de loi d’initiative parlementaire C-213, ou Loi canadienne sur l’assurance-médicaments, est proposé. Il fournissait le cadre pour mettre en œuvre les recommandations du rapport Hoskins, mais a été rejeté par la Chambre des Communes par 295 voix contre 32. 

Les experts et les commissions ne sont pas les seuls à être d’accord. Selon divers sondages effectués ces dernières années, 80 à 90 % des Canadiens appuient l’assurance-médicaments ou, du moins, croient que personne au Canada ne devrait avoir à de la difficulté à payer ses médicaments.

Si les experts, les commissions, certains partis politiques à l’occasion (dont les libéraux, les néo-démocrates et les verts) et la plupart des Canadiens appuient l’assurance-médicaments, alors pourquoi n’est-elle pas déjà en place?

Le premier obstacle, et le plus évident, est la politique du pays, ou les tensions habituelles en matière de compétence politique entre les gouvernements fédéral et provinciaux. Même si la Constitution n’attribue pas ou ne mentionne pas spécifiquement les soins de santé, les provinces ont traditionnellement compétence sur les services de soins de santé, la réglementation des professionnels de la santé, les hôpitaux et les cliniques ainsi que les soins de longue durée en résidence, tandis que le pouvoir financier constitue la monnaie d’échange du gouvernement fédéral.

Les relations intergouvernementales sont donc essentielles pour apporter des changements systémiques aux soins de santé, un domaine où la politique découle des objectifs des partis. 

Les gouvernements provinciaux ont utilisé les désaccords juridictionnels pour obtenir des gains politiques. Cela peut bloquer ou empêcher le gouvernement fédéral de même tenter de mettre en œuvre des politiques de santé à l’échelle nationale. Par exemple, en décembre 2020, le premier ministre

du Québec, François Legault, president du Conseil des provinces et territoires, a catégoriquement rejeté toute « ingérence » fédérale sur la mise en œuvre de normes nationales liées au financement des soins de longue durée. 

La Commission Hall, le Forum national sur la santé, la Commission Romanow et le rapport Hoskins ont tous été menés sous des gouvernements libéraux, mais la volonté fédérale et l’alignement idéologique ne sont qu’une partie de l’équation. L’alignement provincial et la volonté de négocier sur les compétences fédérales-provinciales sont également cruciaux. Au moment de la publication de chacun des rapports mentionnés, les deux plus grandes provinces, l’Ontario et le Québec, étaient respectivement sous des gouvernements progressiste-conservateur et péquiste. Aucun n’aurait été l’allié solide dont le gouvernement fédéral avait besoin ni un suspect habituel dans la cession de l’autorité provinciale.

Selon des entrevues avec de hauts fonctionnaires, un autre obstacle à la mise en œuvre était la croyance précoce de la bureaucratie, pas nécessairement fondée sur des preuves, que l’assurance-médicaments deviendrait un gouffre financier perpétuel une fois mise en œuvre. Sans l’appui des représentants du gouvernement, la mise en œuvre d’une politique aussi complexe serait en effet une tâche difficile à accomplir.

Au fil des décennies, davantage de Canadiens ont obtenu une couverture au moyen de régimes d’assurance-médicaments privés ou parrainés par l’employeur, mais cette couverture est fragile. Les prestations dépendent généralement d’un emploi permanent à temps plein, ce qui est de plus en plus rare pour les jeunes générations, et l’abordabilité des régimes d’avantages sociaux, compte tenu de l’escalade des prix des médicaments, devient une préoccupation plus importante.

Même si les sondages montrent que la grande majorité des Canadiens sont en faveur de l’assurance-médicaments et qu’elle figure dans les programmes des partis au moment des élections, elle n’a jamais été un enjeu électoral crucial galvanisant les électeurs ou augmentant les suffrages. Une mesure peut être judicieuse en principe, mais si elle  ne permet pas de remporter des élections,  il n’y a guère d’impératif politique à la mettre en œuvre.

Plus que tout, l’assurance-médicaments s’est transformée en question de principe au fil du temps. Car le sort réservé à la dernière tentative ratée de mise en place d’un cadre d’assurance-médicaments, le projet de loi C-213 (pourtant présenté par un parti d’opposition), donne à penser que la mise en œuvre d’une politique populaire, bien soutenue et fondée sur des valeurs et des principes ne s’inscrit pas dans la culture politique du Canada. Ou, du moins, pas encore. Ni d’un seul coup.

Dans le discours du Trône de l’automne 2020 et les lettres de mandat supplémentaires, nous avons constaté un engagement renouvelé à aller de l’avant avec certains composants de l’assurance-médicaments. Les ministres de la Santé et des Aînés ont reçu le mandat de travailler avec « les provinces et les territoires qui souhaitent aller de l’avant rapidement, accélérer les travaux d’élaboration d’un régime national universel d’assurance-médicaments, y compris l’établissement de l’Agence canadienne des médicaments, et mettre en place une liste de médicaments admissibles pour que le prix de ceux-ci demeure bas et une stratégie concernant les maladies rares pour aider les familles à réaliser des économies sur les médicaments coûteux ».

Paver lentement la voie d’un programme national d’assurance-médicaments semble être l’approche du gouvernement actuel. L’assurance-médicaments n’est pas une politique dont l'élaboration et la mise en œuvre sont simples. Une approche progressive pourrait faire réaliser des gains dans ce dossier sans compromettre d’autres priorités qui font gagner des votes. Il reste  à voir si tout cela se concrétisera assez  tôt pour répondre aux besoins actuels  des Canadiens.

 

Cet article a été publié dans le numéro du été 2021 du magazine Sage, dans notre rubrique « Bilan santé », qui porte sur des questions de santé et des politiques de santé d’actualité, sous l’optique des enjeux qui touchent les aînés canadiens. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?