L’assurance-médicaments et son impact sur les retraités

10 mai 2019
Bottle of pills.

Ce printemps, le Comité consultatif sur la mise en œuvre d’un régime d’assurance-médicaments national, dirigé par l’ancien ministre de la Santé de l’Ontario, le Dr Eric Hoskins, publiera son rapport très attendu.

L’enjeu est de taille, surtout pour les aînés qui sont, et de loin, les plus grands consommateurs de médicaments d’ordonnance. Même si les aînés de plus de 65 ans constituent 15 % de la population, ils représentent 57 % des dépenses en médicaments d’ordonnance.

La mise en œuvre d’un régime d’assurancemédicaments — et n’oublions pas que le mandat du Dr Hoskins consiste à produire un plan de mise en œuvre et non simplement un autre rapport clamant avec ferveur la pertinence de l’idée — constituerait le changement le plus important du domaine des soins de santé en plus d’un demi-siècle.

Avec l’élection fédérale prévue pour le 21 octobre, la promesse d’un régime d’assurance-médicaments pourrait aussi être la pierre angulaire de la réélection du premier ministre Justin Trudeau.

Le problème — et c’est la raison pour laquelle le travail du Dr Hoskins est nécessaire — est l’existence de nombreuses définitions de l’assurance-médicaments, allant de la création d’un seul programme centralisé assurant les médicaments dès le premier dollar à une approche « pour combler les lacunes » visant à offrir une assurance-médicaments à ceux qui n’en ont pas encore.

« Si l’assurance-médicaments doit voir le jour, la proposition devra être ambitieuse et audacieuse, tout comme l’assurancemaladie à ses débuts », explique Fiona Clement, chercheuse en politiques de santé à l’Université de Calgary.


L’enjeu est de taille, surtout pour les aînés qui sont, et de loin, les plus grands consommateurs de médicaments d’ordonnance.


Mais nous ne devrions pas prétendre que ce sera facile, enchaîne-t-elle, parce qu’il existe tellement d’intervenants qui ont un intérêt dans la livraison de médicaments — Ottawa, les provinces et les territoires, les assureurs privés, les employeurs, les syndicats et, bien sûr, les patients — qu’il sera difficile de trouver un consensus, encore moins l’unanimité.

On qualifie souvent l’assurance-médicaments de « symphonie inachevée de l’assurancemaladie ». Il vaut donc la peine de rappeler l’histoire de l’origine de l’assurance-maladie et de la raison pour laquelle les médicaments n’étaient pas financés par l’État en tout premier lieu.

Dans la période enivrante qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, de nombreux progrès médicaux et technologiques ont suscité un nouvel espoir, mais avaient rendu l’accès aux soins de santé de plus en plus inabordable pour les Canadiens.

Les gouvernements provinciaux ont réagi en créant des régimes d’assurance publique, d’abord pour les soins hospitaliers, puis pour les soins médicaux, mais l’accès variait énormément d’un bout à l’autre du pays.

Le gouvernement fédéral a chargé le juge Emmett Hall d’étudier la question. Le rapport historique de ce dernier était catégorique : L’assurance-maladie publique était une nécessité.

Ottawa a rapidement donné suite aux recommandations de la Commission royale d’enquête sur les services de soins de santé du juge Hall. En 1965, le gouvernement fédéral a accepté de financer 50 % des services hospitaliers et médicaux, à deux conditions : que l’accès soit universel (donc que personne ne se voie refuser des soins en raison de sa capacité de payer) et qu’il n’y ait aucun frais d’utilisation.

Néanmoins, les recommandations du juge Hall n’ont pas enthousiasmé tout le monde. Il s’est écoulé sept ans avant que toutes les provinces acceptent l’entente sur le partage des coûts. (Le Québec a été la dernière province à adopter le régime d’assurancemaladie, en 1972.)

Même si la création du régime d’assurancemaladie a marqué un tournant décisif, Ottawa n’a que partiellement mis en œuvre les recommandations du rapport. En plus des services dispensés par les hôpitaux et les médecins, la commission Hall a déclaré que l’assurance-maladie devrait inclure les médicaments sur ordonnance, les soins dentaires, les services optiques, les soins à domicile et les services de santé mentale et de toxicomanie, mais que ces services pouvaient être ajoutés progressivement.

Cette expansion proposée de l’assurancemaladie n’a jamais eu lieu.

Les médicaments, par exemple, n’étaient pas considérés comme une priorité parce que la plupart étaient dispensés par les hôpitaux et assurés. L’autre cause de cette hésitation est qu’après la mise en place du régime d’assurance-maladie, les coûts de la santé ont grimpé en flèche, avec des augmentations à deux chiffres d’une année à l’autre. Les politiciens ont eu la frousse, et encore plus lorsqu’Ottawa a commencé à reculer par rapport à sa promesse de financement à parts égales. (À l’heure actuelle, le gouvernement fédéral couvre 21 % des dépenses publiques de santé.)

Au lieu d’un système d’assurance-maladie cohésif, il s’est développé une courtepointe de programmes d’assurance privés et publics, surtout pour les médicaments d’ordonnance.

Aujourd’hui, le Canada compte le nombre surprenant de 113 000 régimes d’assurancemédicaments privés et de 102 régimes d’assurance-médicaments publics différents qui ciblent des groupes démographiques comme les aînés et des personnes ayant des problèmes de santé particuliers.

En tout, environ 28 millions de Canadiens sont couverts par un régime d’assurancemédicaments, mais de manière inadéquate pour quatre millions d’entre eux, et 700 000 autres ne sont pas assurés.

« Un vrai gâchis », de dire Mary Lou Robertson, consultante et experte en matière d’accès aux médicaments. « Il peut être très difficile de naviguer dans le système, surtout pour les personnes âgées. »


En tout, environ 28 millions de Canadiens sont couverts par un régime d’assurance-médicaments, mais de manière inadéquate pour quatre millions d’entre eux, et 700 000 autres ne sont pas assurés.


La perception générale du public est que tous les aînés sont couverts par le régime d’assurance-médicaments. Mais la réalité est bien différente.

Quatre provinces inscrivent automatiquement les aînés aux régimes publics d’assurancemédicaments à 65 ans — l’Ontario, le Québec, l’Île-du-Prince-Édouard et Terre-Neuve-etLabrador. Dans les six autres provinces, l’inscription est volontaire.

 Plusieurs régimes publics sont fondés sur le revenu et offrent un assortiment de primes, de partages de coût et de franchises, et les formulaires (la liste des médicaments assurés) peuvent être limités.

Bien entendu, de nombreux retraités ont aussi une assurance privée, et il circule aussi des idées fausses au sujet de ces régimes.

« On a l’impression que tous les fonctionnaires sont bien nantis, que nous avons des prestations en or », affirme Jean-Guy Soulière, président de l’Association nationale des retraités fédéraux (Retraités fédéraux).

« Mais notre régime est de niveau intermédiaire et nous le payons. » (À l’heure actuelle, la proportion du partage des coûts est à parts égales [moitié-moitié] pour les retraités. Jusqu’au changement unilatéral du gouvernement conservateur en 2013, les retraités versaient 25 % des coûts. Retraités fédéraux conteste cela dans une poursuite judiciaire.)

M. Soulière mentionne que Retraités fédéraux croit qu’un régime universel d’assurance-médicaments devrait exister. « L’assurance-médicaments devrait faire partie de l’assurance-maladie : Les médicaments devraient être accessibles et abordables pour tous », précise-t-il.

À l’heure actuelle, ce n’est pas le cas. Les primes, les franchises et les partages de coûts exercent tous des pressions sur les budgets, particulièrement sur les aînés à budget fixe. (Par exemple, la pension moyenne d’un retraité fédéral est inférieure à 30 000 dollars, et beaucoup dépendent de l’aide sociale pour joindre les deux bouts.)

« En ce moment, des gens doivent faire des choix difficiles : Payer le loyer et acheter de la nourriture, ou acheter leurs médicaments? C’est épouvantable. Cela ne devrait pas se produire au Canada », affirme la Dre Rita McCracken, médecin de famille et chercheuse à Vancouver.

« Il est essentiel d’avoir une approche plus rationnelle pour acheminer les médicaments aux personnes qui en ont besoin. Un régime national d’assurance-médicaments est probablement le meilleur moyen d’y parvenir », lance-t-elle.

Au cours des dernières années, une avalanche d’études ont vanté les avantages d’un programme national unique pour remplacer l’actuel méli-mélo de programmes. En raison de la promesse d’économies importantes, allant de 4 à 10,7 milliards de dollars par année, elles ont piqué l’intérêt des politiciens et des décideurs.

Toutefois, les changements de politiques nécessaires pour réaliser ces économies, y compris des achats conjoints par toutes les provinces, une réglementation plus stricte des prix des médicaments, une utilisation plus agressive des médicaments génériques et un formulaire strict, ont suscité beaucoup moins d’attention.

Même si les dépenses globales en médicaments diminuaient, le coût augmenterait pour le gouvernement, se traduisant par une hausse des impôts. Selon certaines estimations, un régime national d’assurance-médicaments nécessiterait une hausse de deux pour cent des taux d’imposition sur le revenu, sinon des augmentations de l’impôt des sociétés, des retenues salariales (assurance-emploi, Régime de pensions du Canada, etc.) ou des primes pour l’assurance publique. Mais la question est épineuse, tout particulièrement durant une année électorale.

L’an dernier, les Canadiens ont dépensé 34 milliards de dollars en médicaments d’ordonnance en dehors des hôpitaux. De ce total, 14,5 milliards de dollars ont été payés par l’assurance publique, 12,1 milliards de dollars par l’assurance privée et 7,4 milliards de dollars de leur poche par les Canadiens.

Si l’objectif de la politique est de s’assurer que tout le monde bénéficie d’une assurancemédicaments, alors un régime national unique n’est pas la seule option.

En fait, il existe un certain nombre de définitions différentes de l’assurance-médicaments, fort bien expliquées dans un rapport préparé pour le Conference Board du Canada. Sous la direction de Mme Clement, les chercheurs ont formulé cinq options de création d’un système d’assurance-médicaments.

1) Assurance universelle financée par l’État

Selon ce modèle, tous les Canadiens bénéficieraient d’une assurance publique fondée sur un formulaire complet. Cette option améliorerait l’accès pour les Canadiens qui sont actuellement sous-assurés, mais elle étriperait les régimes d’assurance privés. On réaliserait des économies globales, mais accompagnées d’une augmentation substantielle des dépenses publiques. Une transition vers ce modèle serait compliquée, mais elle se traduirait par une assurance uniforme et transférable pour les patients partout au pays.

2) Assurance de médicaments essentiels financée par l’État

Version plus modeste de la première, cette assurance publique consisterait en un formulaire de médicaments essentiels (potentiellement aussi peu que les 125 médicaments figurant sur les listes de médicaments essentiels de l’Organisation mondiale de la santé) pour tout le monde au Canada. Cette option garantirait l’accès aux médicaments essentiels pour tous. L’assurance privée resterait pratiquement en place. Et beaucoup de gens n’auraient toujours pas d’assurance adéquate.

3) Assurance financée par l’État avec franchises fondées sur le revenu

Ce modèle d’assurance publique ciblée offre une couverture à tous et ses coûts varient en fonction du revenu du ménage. Ce type de régime d’assurance est actuellement en place dans plusieurs provinces, dont l’Ontario et la Colombie-Britannique. Si un grand nombre de personnes étaient exemptées de payer les franchises et de partager les coûts, cela pourrait profiter à celles qui sont actuellement sous-assurées. Toutefois, cela ne réduirait probablement pas de façon importante les dépenses globales en médicaments.

4) Mandat individuel

L’approche exigerait que tous les Canadiens aient une assurance publique ou privée qui réponde à une norme précise. L’assurance obligatoire améliorerait l’accès aux médicaments pour ceux qui ne sont pas suffisamment assurés, mais pas pour ceux qui ont une assurance privée. Il en résulterait des différences importantes dans le niveau d’assurance. En théorie, cela ne devrait pas entraîner d’augmentations importantes des dépenses publiques, même si le contraire s’est produit au Québec, qui a adopté cette approche 20 ans auparavant.

     5) Assurance facultative financée par l’État

La courtepointe en place subsisterait, mais les Canadiens auraient la possibilité de contracter une assurance publique. Cette option n’aurait probablement pas beaucoup d’impact sur l’amélioration de l’accès aux médicaments ou l’optimisation des ressources, mais elle pourrait être intéressante pour les travailleurs indépendants. Relativement peu coûteuse pour le gouvernement, cette option serait la moins perturbatrice à mettre en œuvre.

Même si la notion d’un régime national d’assurance-médicaments unique a dominé le discours public, un modèle hybride est beaucoup plus susceptible de voir le jour. C’est parce que les provinces — qui, sur le plan constitutionnel, sont responsables de la prestation des soins de santé — gèrent maintenant des régimes publics d’assurancemédicaments et ont clairement indiqué qu’elles voulaient garder le contrôle.

Les deux provinces les plus peuplées, l’Ontario et le Québec, ont essentiellement dit qu’un régime national n’est pas envisageable. Mais si Ottawa allonge des fonds assez considérables, il pourrait obtenir beaucoup de collaboration des provinces et combler une bonne partie des lacunes d’assurance.

Mme Robertson se dit plus préoccupée par la transition vers un nouveau fonctionnement que l’option que les gouvernements retiendront.

À son avis, « les aînés sont la population la plus à risque, parce qu’ils sont les plus grands utilisateurs des programmes publics ».

Ce qui compte pour les Canadiens âgés, dit-elle, ce n’est pas de savoir qui gère leur programme d’assurance, mais plutôt quelles en sont l’abordabilité et la simplicité.

« Idéalement, un régime d’assurancemédicaments devrait être aussi simple que de se présenter à la pharmacie avec sa carte d’assurance-maladie. Mais je ne pense pas que ce sera aussi simple », précise-t-elle.

« Je pense que, en fin de compte, nous aurons un système mixte comme celui qui est en place, mais avec moins de lacunes. »

La Dre Rita McCracken craint également que les gouvernements ne parviennent pas à s’entendre sur un programme national, mais espère qu’ils appuieront au moins les programmes publics, surtout pour les aînés.

« La Fair Pharmacare [assurancemédicaments équitable] de la C.-B. est un très bon programme, c’est donc un bon point de départ », observe-t-elle. « Mes patients — même les plus vulnérables — ont de bonnes chances d’obtenir les médicaments dont ils ont besoin et de conserver leur dignité. »

Selon Mme Clement, il est impératif que les politiciens et les décideurs s’entendent sur le meilleur régime d’assurance-médicaments possible et que la recherche de la perfection n’entrave pas la création d’un bon régime.

« Si cette fenêtre se ferme, je ne pense pas qu’elle s’ouvrira d’ici 20 ans. »

 

Cet article a été publié dans le numéro de Printemps 2019 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!