Les grands-parents ont des droits eux aussi

27 juin 2022
Les grands-parents avec leur petit-enfant.
Après une croisade de plusieurs décennies pour faire reconnaître la relation entre les grands-parents et les petits-enfants par les tribunaux, les défenseurs de ces droits espèrent gagner du terrain.
 

L’expression « les droits de grands-parents » peut sembler avoir été inventée. Mais, dans les faits, l’importance de la relation entre un grand-parent et son petit-enfant est de plus en plus reconnue, en partie à cause d’un mouvement qui en revendique la reconnaissance judiciaire au Canada depuis des décennies.

Privés de voir leur petit-enfant, souvent après le divorce ou la séparation de ses parents ou le décès de l’un d’eux, certains grands-parents ont fait valoir leur droit. Cela a donné naissance à un mouvement national dont Daphne Jennings fait partie ou qu’elle suit depuis pratiquement trente ans.

« Avant même que je me présente à Ottawa, l’Association canadienne des droits des grands-parents était venue à mon bureau pour demander mon aide », mentionne Mme Jennings, qui a été élue comme députée du Parti réformiste dans la circonscription de Mission-Coquitlam en 1993. « J’ai donc acquis une réputation de députée qui défend les droits de grands-parents, avant le début de [mon] premier mandat. »

Elle a parrainé un projet de loi d’initiative parlementaire pour modifier la Loi sur le divorce, qui accorderait au grand-parent un droit d’accès ou la garde d’un enfant, mais il a été rejeté après sa deuxième lecture. Il a toutefois entraîné la création d’un comité mixte spécial, ayant donné lieu à 48 recommandations de modifications à cette Loi.

Les grands-parents ont néanmoins persévéré dans les provinces, en se concentrant sur les lois relatives à la famille et aux enfants.

Mme Jennings préside actuellement elle-même l’Association canadienne des droits des grands-parents, qui défend la stabilité et les liens familiaux. Dans son livre publié en 2020, The Canadian Grandparents Story—Family Matters, elle évoque un mouvement qui défendait les grands-parents devant des tribunaux à l’échelle du pays.

Cela a comporté la confection d’une courtepointe sur le thème « Chagrins et larmes » dans les années 1990, qui symbolisait la perte des contacts entre les grands-parents et leurs petits-enfants.

L’intérêt supérieur de l’enfant est devenu le principe dominant de la résolution de conflits au sein d’une famille. L’implication des grands-parents est considérée comme étant bénéfique pour l’enfant.

Les modifications apportées par le gouvernement fédéral à la Loi sur le divorce l’an dernier reconnaissent que d’autres personnes que la mère et le père jouent aussi un rôle important dans la vie d’un enfant et cette Loi leur offre la possibilité de faire la demande d’un droit de visite. La législation provinciale reconnaît également, comme dans la Loi portant réforme du droit de l’enfance de l’Ontario, la Family Law Act de la Colombie-Britannique, ou la Children’s Law Act de l’Île-du-Prince-Édouard, l’importance des contacts avec d’autres personnes, comme les grands-parents, dans la vie d’un enfant.

La sécurité physique, émotionnelle et psychologique d’un enfant importe et sera prise en considération lors d’une demande à un tribunal, tout comme la nature et la force du lien de l’enfant avec les membres de la famille et les personnes qui l’entourent.

« Ils ont indiqué très clairement qu’il incombe aux grands-parents de faire appel aux tribunaux, stipulant “J’aimerais obtenir un droit de visite libre auprès de mes petits-enfants” », explique Stephen Morgan, un avocat en droit familial de Milton, en Ontario. « Ce type de demande est toujours examiné selon l’optique de l’intérêt supérieur de l’enfant. »

M. Morgan souligne qu’il existe des exceptions et de possibles obstacles. Lorsqu’une personne autre que l’un des parents présente une requête de droit de visite libre au tribunal, ce dernier doit trancher.

On considère alors la relation préexistante entre le grand-parent et l’enfant. Et cela pourrait devenir un problème si l’enfant est encore jeune.

« Un juge pourrait indiquer à une personne qu’elle n’a pas disposé d’un délai suffisant pour établir une relation », précise M. Morgan.

Les droits des parents quant aux décisions en matière d’éducation de l’enfant sont également pris en compte, car les tribunaux sont peu disposés à s’immiscer dans les décisions d’un parent. Cependant, les parents ne peuvent pas tout bonnement empêcher leur enfant de voir ses grands-parents si cela ne nuit pas à son bien-être, ce qui permet aux grands-parents d’exercer leur droit de visite. Le défi du tribunal consiste à trouver le juste équilibre entre le pouvoir de décision des parents et le désir de contact des grands-parents.

Les tribunaux portent également attention aux signaux d’alarme, comme les situations où les grands-parents discréditent les parents ou lorsque le petit-enfant se retrouve au milieu du conflit. D’autres signaux d’alarme comprennent des situations dans lesquelles les grands-parents ont des antécédents de mauvais traitements ou ont tendance à créer des tensions. Enfin, si les parents sont en mesure de prouver que l’implication des grands-parents aurait une incidence négative dans la vie de l’enfant ou que cela le mettrait en danger, cela devient un signal d’alarme.

« L’essentiel, aux yeux des tribunaux, consiste à ce que cela apporte quelque chose de positif à l’enfant », ajoute M. Morgan.

Même si l’examen de « l’intérêt supérieur de l’enfant » prévaut toujours, Barb Cotton, avocate-recherchiste de Calgary, indique que les modifications récentes à la Loi sur le divorce pourraient ne pas constituer la solution espérée par les grands-parents. Les droits parentaux continuent d’avoir préséance, les grands-parents ont moins de droits.

« Il y a eu des revendications tangibles sur le concept des droits des grands-parents », souligne Mme Cotton. « Les droits de grands-parents signifieraient l’existence d’une présomption dans les tribunaux, voulant que les grands-parents aient le droit de voir leurs petits-enfants. »

Même si les modifications à la Loi sur le divorce permettent à des personnes comme les grands-parents de présenter une requête au tribunal pour un droit de visite à leurs petits-enfants, il n’existe pas de présomption automatique leur donnant la permission de faire partie de leurs vies.

Selon Sophie MacDonald, avocate en droit de la famille à l'Île-du-Prince-Édouard, la meilleure méthode, et de loin, consiste à se passer du tribunal. Si les grands-parents et les parents ne parviennent pas à trouver une solution, ils peuvent se tourner vers un mécanisme de règlement des différends moins antagoniste.

« Si je devais me présenter au tribunal pour obtenir une ordonnance pour voir mon petit-enfant, cela n’augurerait rien de bon pour notre relation à l’avenir », souligne Mme MacDonald.

Si l’arbitrage, la médiation et la conciliation ne donnent pas de résultat concret pour les grands-parents, le recours potentiel aux tribunaux peut leur apporter un certain réconfort.

Mme MacDonald conseille aux grands-parents de ne pas tarder. S’ils n’ont pas vu l’enfant depuis trois ans, par exemple, le tribunal pourrait se montrer réticent à modifier ce qui est devenu un statu quo pour l’enfant.

« Afin de préserver la relation avec le petit-enfant, il est important de respecter leurs points de vue (ceux des parents) et la façon dont ils exercent leur rôle parental », conclut Mme MacDonald. « Il faut lutter avec acharnement pour obtenir ces droits du tribunal, mais ce dernier accorde toujours la priorité au point de vue des parents. »  

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'été 2022 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?