Évaluer la justice du fractionnement du revenu de pension

07 janvier 2022
Some single retirees argue that splitting pension income is an unfair advantage.
Des retraités célibataires soutiennent que le fractionnement du revenu de pension est un avantage injuste qui avantage les couples.
 

En 1966, le rapport de la Commission royale d’enquête sur la fiscalité nommée par le premier ministre John Diefenbaker a affirmé que la justice devrait être le premier objectif du régime fiscal. Depuis, le système d’imposition a évolué et la justice semble être une question d’interprétation.

Rosemary Campbell et Jake Jacobson, tous les deux membres de l’Association nationale des retraités fédéraux, interprètent différemment la justice du fractionnement du revenu de pension. Mme Campbell estime qu’il privilégie les hommes, parce qu’il est fondé sur le ménage traditionnel à un seul revenu dans lequel la femme était sans emploi. M. Jacobson pense que le fractionnement du revenu de pension est un avantage équitable qui reconnaît la famille comme étant une seule entité et qui, dans l’ensemble, favorise uniquement les couples en cas de disparité de leurs revenus de pension.

Le fractionnement du revenu de pension permet à une personne mariée ou en union de fait de fractionner jusqu’à 50 % de son revenu de pension admissible avec son conjoint ayant un revenu inférieur, réduisant ainsi son revenu imposable. La portion transférée est imposée en fonction d’un taux d’imposition plus faible, en raison du revenu inférieur du conjoint ou parce que le bénéficiaire d’une pension supérieure diminue de tranche d’imposition grâce au fractionnement. Pour être admissible au fractionnement du revenu, un couple doit cohabiter au Canada à la fin de l’année. S’il n’habite pas ensemble, ce doit être en raison du travail, des études ou par nécessité médicale. Si un couple ne cohabite plus en raison d’une rupture, il ne peut pas fractionner le revenu de pension.

Les personnes célibataires, qui n’ont jamais été mariées, qui sont veuves ou divorcées, ne peuvent pas fractionner leur revenu de pension avec une autre personne, même si elles cohabitent avec un frère ou une soeur, par exemple, pour diminuer les coûts.

Les arguments relatifs au fractionnement du revenu de pension sont habituellement axés sur la justice ou l’équité. Constance Smith, professeure émérite en sciences économiques à l’Université de l’Alberta, dont les intérêts de recherche comprennent les pensions, observe que le raisonnement qui sous-tend le fractionnement du revenu de pension provient de notre régime progressif d’impôt sur le revenu, selon lequel les personnes à revenu élevé sont assujetties à un taux d’imposition plus élevé. Par exemple, si un conjoint a un revenu de pension de 60 000 $ et que l’autre n’a aucun revenu, ce couple paierait davantage d’impôt qu’un couple dont les deux conjoints reçoivent chacun une pension de 30 000 $.

Mme Smith signale un enjeu connexe, à savoir « si le régime fiscal devrait viser un traitement équitable entre les ménages, ou entre les personnes ». D’une certaine façon, le régime fiscal canadien se concentre sur les personnes, car nous produisons une déclaration fiscale individuelle et non familiale. Le fractionnement du revenu pourrait servir à justifier un traitement équitable entre les ménages.

L’Institut de recherche en politiques publiques soutient qu’il est injuste de permettre aux couples de personnes âgées de fractionner leur revenu de pension tout en interdisant aux autres couples de fractionner leur revenu général, par exemple pour reconnaître la contribution du conjoint parent au foyer qui s’occupe de jeunes enfants dans un ménage à revenu unique ou d’imposer de façon égale les couples gagnant deux revenus différents. Le même raisonnement d’injustice s’applique aux retraités célibataires.

Laura Tamblyn Watts, qui défend les intérêts des aînés à titre de présidente et directrice générale chez CanAge et chargée de cours à l’Université de Toronto, mentionne que les politiques gouvernementales ne tiennent pas compte de la discrimination fiscale contre les aînés célibataires, entre autres parce que les programmes de retraite sont toujours basés sur les durées de vie plus courtes d’il y a plusieurs années. La société se concentre également sur les familles et sur les couples, pas sur les aînés, et surtout pas les femmes. Et la majorité des retraités célibataires sont des femmes, en raison de leur longévité. L’équité des genres s’inscrit donc dans le débat. Mme Watts affirme que le fractionnement du revenu favorise les couples au détriment des personnes célibataires, et que le sexe est une considération de taille, mais l’ARC ne tient pas compte de l’inégalité entre les sexes. Mme Watts milite pour accroître « l’équité et procéder à une refonte du fractionnement du revenu de pension, afin d’aider à surmonter ces injustices par rapport aux célibataires ». Un crédit ou une déduction d’impôt équivalent aux économies réalisées par des conjoints mariés aiderait les retraités célibataires.

Mme Watts souligne qu’il revient moins cher de vivre en couple. La vie quotidienne coûte 40 % de plus à une personne seule qu'à chacun des individus qui composent un couple. Rosemary Campbell, une célibataire qui habite Ottawa, a travaillé dans la fonction publique fédérale pendant 35 ans, en grande partie pour Statistique Canada. Elle se dit d’accord avec Mme Watts, en décrivant les principales difficultés associées au célibat et au fait de devoir gérer seul chaque aspect de sa vie, tandis que les couples mariés peuvent répartir les tâches. Elle remet l’équité du fractionnement du revenu de pension en cause. Pour elle, il s’agit d’une « gifle sexiste [discriminatoire] pour les femmes âgées » qui favorise les hommes qui ont habituellement « des revenus et des pensions plus élevés que les femmes ».

Une femme célibataire paie le plein taux d’imposition sur son revenu de pension, mais un homme gagnant le même revenu, marié à une femme ayant un revenu moins élevé, peut fractionner une partie de son revenu de pension pour obtenir des avantages fiscaux, même si son revenu total dépasse celui de la femme célibataire de plusieurs milliers de dollars.

Jake Jacobson, qui a 22 ans de service comme officier dans l’Aviation royale canadienne et 12 ans de service comme membre civil de la GRC, est un retraité habitant sur l’île de Vancouver et marié depuis plus de 40 ans. Il indique que le fractionnement du revenu de pension est un avantage fiscal plutôt qu’un allègement fiscal, qui reconnaît les contributions du parent au foyer qui élève les enfants et qui « n’a pas de revenu donnant droit à une pension pour son travail effectué en soutien au mariage ». Un tel travail est très important, mais notre société ne lui accorde pas de valeur financière. Un couple marié ayant des enfants dépense davantage pour les élever pendant plusieurs années qu’une personne seule.

De plus, selon M. Jacobson, les coûts combinés d’un couple de retraités pour les soins de santé peuvent être considérablement plus élevés que ceux d’une personne célibataire, tandis que l’assurance maladie à la retraite offre souvent une couverture inférieure à celle offerte par un employeur. Puisque l’avantage fiscal du fractionnement de revenu de pension dépend des montants de la pension de chacun des conjoints, allant de zéro à une contribution égale, le fractionnement du revenu de pension aplanit les disparités au sein des couples au cours de leur vie. Il est d’avis que « l’équité fiscale est un enjeu complexe et un objectif qui ne pourra jamais être pleinement atteint. »

Reprenant les propos de M. Jacobson, Cheryl Nichols, une vétérane célibataire qui habite en Alberta et qui a servi pendant 17 ans dans les Forces armées canadiennes, affirme qu’elle ne croit pas en une véritable équité fiscale, mais cela ne se limite pas au fractionnement du revenu de pension. Elle donne en exemple l’injustice de récupérer la SV d’une militaire, qui a servi son pays durant toute sa carrière et payé les impôts fédéraux qui contribuent à ce régime général de pension.
 

Le revenu de pension admissible comprend :

  • portion imposable des versements d’une pension de retraite ou d’un régime de retraite;
  • versements associés au décès d’un conjoint ou, si le conjoint procédant au transfert est âgé de 65 ans et plus le 31 décembre :
    • rente et fonds enregistré de revenu de retraite (FERR) ou fonds de revenu viager;
    • rente d’un régime enregistré d’épargne-retraite (REER);
    • montants admissibles d’un régime compensatoire.

Le revenu de pension non admissible comprend :

  • Sécurité de la vieillesse ou le Supplément de revenu garanti (SV ou SRG);
  • Régime de pensions du Canada (RPC) et le Régime des rentes du Québec (RRQ);
  • revenu de pension provenant de l’extérieur du Canada et non imposable, en raison d’une convention fiscale qui permet d’effectuer une déduction;
  • revenu émanant d’un compte d’épargne-retraite individuel des États-Unis (Individual Retirement Account ou IRA);
  • montants d’un FERR transférés à un REER, à un autre FERR ou à une rente.

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2021 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?