Des promesses, des promesses

11 janvier 2022
Premier ministre Justin Trudeau.
Quelles seront les priorités des aînés débattues à la Chambre des communes durant la présente session parlementaire? Certaines dépendent non pas des libéraux, mais des partis d’opposition.
 

Alors que le Parlement reprend ses travaux et que le premier ministre Justin Trudeau et ses députés entament leur troisième mandat, ce sont les aléas de leur position minoritaire qui détermineront vraiment les dossiers qui se retrouveront à leur ordre du jour législatif.

« Avec un gouvernement minoritaire, les promesses électorales sont moins susceptibles d’être tenues qu’avec un gouvernement majoritaire », explique Daniel Béland, directeur de l’Institut d’études canadiennes de McGill, ainsi que professeur James McGill au département de sciences politiques de l’Université McGill.

M. Béland a examiné les promesses des libéraux de 2015 pour voir si elles avaient été tenues en 2019 et a découvert qu’ils avaient respecté, en tout ou en partie, « une grande majorité de leurs promesses ». Toutefois, il souligne que les gens ont tendance à se souvenir des quelques promesses qu’ils ont brisées, comme celle sur la réforme électorale. Entre 2019 et 2021, la pandémie a dominé l’ordre du jour. Comme le gouvernement était minoritaire, il a tenu moins de promesses au cours de ces deux années.

M. Béland ajoute que les libéraux se sont montrés proactifs sur les dossiers concernant les aînés, notamment en annulant le projet d’augmenter l’âge d’admissibilité à la Sécurité de la vieillesse (SV). Le gouvernement a également bonifié le Régime de pensions du Canada (RPC), comme décrit dans sa plateforme, mais avec des lacunes et des failles jusqu’à présent.

Parmi les enjeux de la campagne de défense des intérêts de Retraités fédéraux durant l’élection, à savoir les soins de longue durée, les questions relatives aux vétérans, les pensions et l’assurance-médicaments, cette dernière est la plus négligée du groupe, car elle n’est mentionnée qu’à deux reprises dans la plateforme.

Selon M. Béland, « l’assurance-médicaments est le parent pauvre ici, ou l’enfant négligé ».

Pour les libéraux, les relations intergouvernementales avec les provinces présentent une autre difficulté, car elles jouent un rôle dans plusieurs de ces enjeux politiques. La tâche ne revient pas seulement à la Chambre des communes. La façon dont ce gouvernement travaillera avec ses partenaires provinciaux sur ces enjeux rend aussi les relations intergouvernementales des plus importantes.

Soins de longue durée

La pandémie a indéniablement fait des soins de longue durée un enjeu qu’aucun Canadien, et donc aucun politicien, ne peut ou ne veut plus ignorer. Mais où s’inscrit-il dans l’ordre du jour général?

Susan Braedley, professeure agrégée de travail social à l’Université Carleton, affirme que les normes nationales en matière de soins de longue durée s’en viennent.

« Nous savons que c’est en cours, mais c’est un travail très difficile et controversé, avec beaucoup de tensions, car on tente de résoudre les problèmes de sécurité des soins de santé entraînés par la COVID et d’offrir des milieux chaleureux et accueillants pour y vivre et y travailler », dit Mme Braedley. « C’est la résolution de ces tensions qui est en cours [actuellement], mais je suis convaincue que des normes nationales seront élaborées par le gouvernement fédéral et j’espère qu’il y en aura de bonnes. »

Mme Braedley indique que plusieurs groupes d’experts travaillent sur ce dossier et qu’elle a vu des ébauches de certaines des recommandations.

« Ils semblent travailler rapidement », dit-elle. « Je ne saurais dire quand [nous les aurons], mais je sais que le travail est bien avancé et qu’il se poursuit avec une certaine urgence. Ce que j’ai vu m’a encouragée. J’ai passé des centaines de journées dans des centres de soins de longue durée au Canada, en Europe et aux États-Unis et j’ai travaillé avec une grande équipe internationale. Nous avons eu beaucoup de temps pour comparer et réfléchir au contenu de ces normes. »

Mme Braedley cite la série de livrets du Centre canadien de politiques alternatives sur les « pratiques prometteuses » en matière de soins de longue durée, à laquelle elle a travaillé. La plupart des idées présentées dans ces livrets sont de compétence provinciale, mais le gouvernement fédéral pourrait élaborer une loi sur les soins de longue durée. Elle estime qu’une telle loi serait logique au niveau fédéral en tant que garantie, et que les normes nationales pourraient y être intégrées, pour s’assurer qu’une norme décente de soins de longue durée est fournie à la population du pays.

Retraités fédéraux a revendiqué des normes « exécutoires », mais Mme Bradley indique que les normes exécutoires dont disposaient les provinces n'ont pas résolu grand-chose.

« Je n’entends pas dire [qu’une loi sur les soins de longue durée] va se concrétiser, mais on en a parlé », dit-elle.

En ce qui concerne les soins à domicile, les libéraux ont dit vouloir aider les aînés à vieillir chez eux.

« Ils veulent doubler le crédit d’impôt pour l’accessibilité domiciliaire, pour qu’il soit plus facile de rester à la maison », dit M. Béland. Bien entendu, pour en bénéficier, il faut être propriétaire d’une maison et avoir les moyens de faire des rénovations considérables. « Ils ont également commencé à discuter d’une prestation de vieillissement à domicile. On parle d’études, de l’élaboration d’une loi sur les soins de longue durée, de l’élaboration d’une prestation de vieillissement à domicile, mais là encore, c’est un peu vague. »

L’un des problèmes que posent les engagements financiers des libéraux en matière de soins à domicile, toutefois, consiste à déterminer le niveau de reddition des comptes de la façon dont cet argent sera dépensé lorsqu’il sera versé aux provinces.
 

Pensions

La SV a été augmentée pour les aînés de 75 ans et plus dans les semaines précédant le déclenchement des élections, avec un paiement unique de 500 $ pour ceux-ci le 30 juin 2022. En juillet 2022, la pension de la SV augmentera de 10 % pour les aînés de 75 ans et plus. Les libéraux ont également rétabli l’âge d’admissibilité à la SV et au Supplément de revenu garanti (SRG) de 67 à 65 ans et ont augmenté le SRG de 10 % pour les aînés.

Lorsque les libéraux ont annoncé que l’augmentation de la SV viserait les aînés de 75 ans et plus, les partis d’opposition se sont plaints qu’ils créaient deux catégories d’aînés. Résultat? Les aînés obtiendront maintenant une augmentation du SRG de 500 $ pour les célibataires et de 750 $ pour les couples, à partir de 65 ans. Retraités fédéraux appuyait aussi cette position. Les libéraux ont également promis d’augmenter de 25 % la prestation de survivant du RPC et de transformer le crédit pour les aidants naturels en prestation remboursable et non imposable. Ceux-ci peuvent donc recevoir jusqu’à 1 250 $ par année.

« Nous verrons si le Bloc peut faire pression sur les libéraux pour qu’ils étendent l’augmentation permanente de la SV aux aînés de 65 ans et plus », dit M. Béland.

Michael Smart, professeur de sciences économiques à l'Université de Toronto, estime que le remboursement de la dette ne nuira pas aux pensions fédérales.

« Il est naturel que les gens s’inquiètent, mais nous n’avons pas à nous inquiéter de la dette », lance-t-il. « Le gouvernement a fait ce qu’il fallait pour protéger les travailleurs et nous sommes entrés dans la pandémie avec un très bon bilan fédéral. Nous allons en sortir avec beaucoup plus de dettes sur ce bilan, mais les finances fédérales demeurent dans une position viable. »

Si certains disent que les retraités fédéraux n’auraient pas à s’inquiéter de leurs pensions d’un point de vue économique, il faut aussi tenir compte des perspectives idéologiques et politiques. La rémunération, les pensions et les avantages sociaux du secteur public fédéral sont la cible des adversaires des déficits qui réclament régulièrement le plus petit dénominateur commun pour tous les Canadiens, surtout pour les pensions et la sécurité de la retraite. Comme la dette pourrait être économiquement viable, la véritable question est de savoir si les dépenses gouvernementales en matière de rémunération sont politiquement viables.
 

Assurance-médicaments

Après la publication du rapport Hoskins, un régime national d’assurance-médicaments a bénéficié d’un certain élan, mais la pandémie a rapidement pris le dessus comme priorité en matière de santé.

Lorsque Maclean’s a posé la question à M. Trudeau pendant la campagne électorale, il a répondu : « Nous sommes toujours résolus à mettre en place un régime d’assurance-médicaments national et universel [mais] au cours de la dernière année et demie, alors que nous nous penchions sur divers défis et priorités, la pandémie a fini par prendre beaucoup de temps et d’espace. »

Marc-André Gagnon, professeur agrégé de politique publique à l’Université Carleton et spécialiste du domaine, estime que les libéraux peuvent aussi en rester là et prétendre avoir fait leur part. En fait, ils ont présenté une proposition aux provinces, mais seule l’Île-du-Prince-Édouard s’est montrée intéressée. Les autres provinces, dit-il, se sont plaintes de l’empiètement du gouvernement fédéral sur leurs compétences. Le gouvernement fédéral a également déclaré qu’il ne forcerait pas les provinces à y participer.

« Ce qu’il offre est très intéressant [en ce sens qu’il s’agit] des recommandations du rapport Hoskins — une couverture universelle des médicaments pour tous les Canadiens », enchaîne M. Gagnon.

« Le problème, c’est que lorsque la proposition a été présentée, nous pensions que des sommes importantes s’y attacheraient », dit-il. « Mais la proposition est sur la table, il n’y a pas de fonds concrets pour soutenir ce régime et personne ne le défend [au niveau provincial]. »
 

Enjeux liés aux vétérans

La plateforme libérale en avait long à dire sur les vétérans en matière de logement et d’itinérance, signale M. Béland.

« La pandémie augmente l’importance de ces problèmes. Une motion pour mettre fin à l’itinérance des vétérans d’ici 2025 a été adoptée il y a quelque temps, mais cela nécessitera beaucoup d’investissements. »

Parmi les autres problèmes mentionnés dans la plateforme figurent les stratégies d’emploi pour les vétérans et la réduction des temps d’attente.

« La plateforme parle beaucoup des vétérans, mais seront-ils une priorité dans le processus législatif? C’est là une autre question », précise M. Béland. « Cela dépendra non seulement des libéraux, mais aussi des partis d’opposition. »

Maya Eichler, professeure agrégée d’études politiques, d’études canadiennes et d’études sur les femmes à l’Université Mount Saint Vincent, convient que l’itinérance est l’un des enjeux préoccupants au sujet des vétérans.

L’itinérance, explique-t-elle, va de pair avec le traumatisme sexuel militaire et le manque de soutien familial pour les femmes, car beaucoup sont célibataires ou vivent dans des familles où les deux conjoints sont en service. Elles ont donc souvent moins de soutien familial que leurs pairs masculins.

« Je pense qu’il faut y prêter attention », dit Mme Eichler. « Les femmes sont le sous-groupe des vétérans sans abri qui connaît la croissance la plus rapide. »

Mme Eichler mentionne que les libéraux ont promis une stratégie nationale d’emploi pour les vétérans, une autre mesure positive, car les vétéranes subissent une baisse de revenu plus marquée après avoir quitté les Forces. Toutefois, ces programmes sont souvent créés en fonction de l’image d’un vétéran habituellement masculin.

La promesse libérale de réduire les temps d’attente comporte également des inégalités qui n’ont pas été résolues, selon Mme Eichler. « Mais ces dossiers sont plus complexes et plus compliqués à arbitrer », dit-elle. « Ils ne sont pas typiques et les arbitres ne sont pas aussi bien formés. Cela s’améliore en partie [par rapport au] traumatisme sexuel militaire. »

Et, en plus de la Commission d’enquête Arbour sur l’inconduite sexuelle militaire, on s’attendait à ce qu’un programme de soutien par les pairs entièrement bilingue et financé à l’échelle nationale soit en place.

Enfin, la plateforme parlait de créer un institut national sur la santé des femmes, pour répondre aux besoins cliniques, professionnels et de déploiement.

« L’un des volets sera la santé des femmes militaires, ce qui aura beaucoup d’impact, mais il faudrait maintenant l’étendre aux vétéranes », dit-elle. « Historiquement, nous n’avons pas fait assez de recherches sur la santé des femmes vétéranes. Ce projet m’avait beaucoup enthousiasmée. »
 

Environnement

L’environnement préoccupe de plus en plus les Canadiens et, comme Sage l’a constaté pendant la campagne électorale, c’est un enjeu important pour les retraités fédéraux. Caroline Brouillette, analyste des politiques du Réseau Action Climat Canada, signale que, selon un récent sondage Polaris, 66 % des Canadiens souhaiteraient que le gouvernement mette en oeuvre les promesses de politiques climatiques décrites dans la plateforme libérale, voire des mesures plus strictes.

La directrice générale de Clean Energy Canada, Merran Smith, rappelle que les libéraux ont pris trois grands engagements politiques pendant l’élection. Le premier était de réduire les émissions des véhicules, avec un mandat ou une norme zéro émission. Le plan prévoit que 50 % de toutes les ventes de véhicules seront sans émissions d’ici 2030 et que ce chiffre passera à 100 % en 2035.

Le deuxième consiste à plafonner les émissions de pétrole et de gaz en fixant des objectifs quinquennaux à partir de 2025, avec des jalons tous les cinq ans. Le troisième est de créer un réseau électrique à zéro émission d’ici 2025.

Selon Mme Smith, le transport est responsable de 25 % des émissions du Canada et les véhicules de particuliers en représentent la moitié. Le mandat de transport à zéro émission est donc un outil très important.

Le secteur pétrolier et gazier est également responsable de 25 % des émissions du Canada.

« C’est pourquoi il était essentiel de réduire les émissions du secteur pétrolier et gazier, de les plafonner à leur niveau actuel et de réglementer ensuite leur réduction », explique Mme Smith. « Nous les avons tous entendus promettre d’atteindre la carboneutralité d’ici 2050, ce qui devrait correspondre à ce qu’ils prévoyaient de faire de toute façon. Mais nous constatons souvent des retards et les émissions du Canada n’ont pas diminué. À l’échelle mondiale, le Canada fait partie du palmarès des 10 plus importants émetteurs et nous sommes presque au premier rang en termes d’émissions par habitant. »

Bien entendu, cette mesure ne sera pas populaire en Alberta, ce qui nécessitera à nouveau de sérieuses négociations entre les gouvernements fédéral et albertains.

Les libéraux se sont également engagés à éliminer les subventions aux combustibles fossiles.

En ce qui concerne la promesse d’un réseau électrique à zéro émission d’ici 2035, Mme Smith rappelle que celui du Canada est déjà à 85 % sans émission.

« C’est une possibilité énorme, car si nous passons à l’électrification des transports, du chauffage et de la climatisation de nos maisons, nous aurons besoin de deux à trois fois plus d’électricité au Canada dont nous disposons actuellement. »

Mme Smith pense que ces trois politiques devraient se concrétiser au cours de la présente session parlementaire. Les libéraux, les néo-démocrates et les conservateurs se sont engagés à aller de l’avant en ce qui concerne les véhicules à zéro émission, et s’entendent pour utiliser davantage le réseau électrique propre du Canada. Et, en matière de plafond sur le pétrole et le gaz, les libéraux devraient pouvoir compter sur le NPD et le Parti vert.

« L’économie mondiale se dirige vers une économie alimentée par l’énergie propre », dit-elle. « Cent trente-six pays représentant 70 % du PIB mondial se sont engagés à être carboneutres d’ici 2050 et cela signifie qu’ils vont chercher de l’énergie propre, de l’hydrogène vert et des biens à faible teneur en carbone. Le Canada sera désavantagé sur le plan économique si nous n’agissons pas rapidement. »

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2021 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?