Les soins de longue durée en crise

01 février 2021
Les soins de longue durée.
Les résidents des établissements de soins de longue durée ont des droits différents dans tout le pays. Pourquoi ces droits sont-ils régulièrement violés?
 

La COVID-19 a mis en évidence les difficultés des établissements qui s’occupent des aînés infirmes et les responsables « ont beaucoup à considérer pour combler les failles du système », selon la ministre ontarienne des Soins de longue durée, Merrilee Fullerton.

Les Canadiens savent depuis des décennies que « ces problèmes s’accumulaient, mais ils n’ont pas été réglés », admet-elle. Les résidents ont été loin des yeux, loin du coeur.

Un établissement de soins de longue durée est également connu sous le nom de centre d'hébergement et de soins de longue durée (CHSLD). Il s'agit d'une résidence pour les personnes qui ne peuvent plus vivre de manière autonome et qui ont besoin d'un haut niveau de soins.

Les résidents des établissements de soins de longue durée ont les mêmes droits que tous les Canadiens. Légalement, personne ne peut subir de discrimination en raison de son âge ou de ses capacités. Dans le secteur des soins de longue durée, un résident peut être placé sous tutelle ou curatelle protectrice, la responsabilité de ses soins étant confiée à une autre personne lorsqu’il ne peut comprendre ses droits ou les défendre. Cette situation peut donner l’impression qu’on lui retire ses droits et que les résidents peuvent être exploités.

Même avant la pandémie, des histoires sur des établissements qui négligeaient les résidents et étaient de mauvais employeurs circulaient. S’agit-il d’anomalies ou de la norme? L’incertitude a conduit la plupart des personnes interviewées pour cet article à demander l’anonymat, par crainte de représailles contre des membres de leur famille vivant dans de tels établissements ou de la part d’employeurs.


Les résidents

Il y a plus de six millions d’aînés (65 ans et plus) au Canada; près de cinq pour cent d’entre eux, soit 300 000 Canadiens, vivent dans de tels établissements. Plus de 60 % des résidents des établissements de soins de longue durée sont atteints d’une forme de démence. L’Agence de santé publique du Canada estime que, d’ici 2031, le nombre de Canadiens atteints de démence doublera.
 

La législation

Les services de santé constituent la composante la plus importante des soins de longue durée. Les Canadiens ont tendance à croire que les soins de santé sont un droit constitutionnel. Or, la Charte canadienne des droits et libertés n’accorde pas ce droit. L’article 7 accorde à chacun « le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne », auquel on ne peut porter atteinte « qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Les contestations en vertu de la Charte dans le contexte des soins de santé ont fait valoir que les droits sont violés par de longs délais d’attente ou le refus de traitements non couverts par l’assurance maladie publique. Le contre-argument permet au gouvernement de violer des droits, mais à condition de le faire de manière « juste ».

La législation fédérale qui permet aux Canadiens de bénéficier de soins de santé financés par l’État est la Loi canadienne sur la santé. Elle stipule les conditions selon lesquelles les provinces et les territoires reçoivent des fonds fédéraux pour fournir des services médicaux et hospitaliers. Pour l’essentiel, la loi ne couvre pas les services dans les établissements de soins de longue durée. Ils sont payés par le gouvernement provincial ou territorial, tandis que la chambre et les repas sont généralement payés par l’individu, dans les établissements privés et publics. Dans certains cas, les provinces et les territoires subventionnent ces coûts. La loi n’interdit pas les services de soins de santé financés par le secteur privé.
 

Les droits en matière de soins

Au Canada, les soins de longue durée ne constituent pas un « système », mais plutôt un ensemble disparate de législations et de soins inégaux. Les établissements sont réglementés par la province ou le territoire. La législation comprend des lois, des déclarations des droits, ainsi que des normes ou des lignes directrices sur les soins. En général, les résidents ont les droits suivants : être traités avec respect et dignité; bénéficier d’une gestion de leur douleur et de leurs symptômes; recevoir des soins en privé; être informés des possibilités de traitement; déposer une plainte; avoir un représentant qui parle en leur nom; voir leurs directives de soins avancés reconnues, y compris celle de la « non-réanimation ». Les résidents ont également le droit de refuser un traitement ou de mettre fin à leurs jours en demandant l’aide médicale à mourir.

Les provinces accordent des droits supplémentaires, comme le droit de recevoir des visiteurs en privé en Colombie-Britannique, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador. En Saskatchewan, il faut s’adresser aux résidents avec gentillesse lors de l’administration des soins dans un cadre « familial ». Dans les trois établissements du Nunavut qui offrent des soins de haut niveau, les résidents sont assurés de recevoir des soins qui maintiennent leur sentiment d’indépendance et de bien-être et qui respectent le qaujimajatuqangit (savoir traditionnel) inuit.

Les inspections des établissements doivent confirmer que les résidents reçoivent des soins dans le respect de leurs droits et conformément à la législation. Toutefois, dans la plupart des provinces, les inspections ont lieu une ou deux fois par an et sont généralement annoncées. En Nouvelle-Écosse, les inspections sont inattendues et ont lieu au moins deux fois par an. Jusqu’au 1er décembre 2019, la Colombie-Britannique déclenchait une inspection seulement après une plainte. En 2018, le ministère des Soins de longue durée de l’Ontario a adopté un cadre d’inspection axé sur les risques qui garantit que « chaque foyer est inspecté au moins une fois, et... que, outre cela, [le cadre] peut accorder la priorité aux foyers en fonction des risques ».
 

La réalité

Sur le papier, les résidents sont bien traités. En réalité, la situation des résidents peut être considérablement différente, et leur droit à la vie privée et leur dignité en font principalement les frais. Les établissements manquent de personnel, et de manière chronique. Le travail est difficile et ne paie pas bien. Certains établissements n’offrent qu’un travail à temps partiel, de sorte que les personnes soignantes travaillent dans plusieurs établissements pour gagner un salaire à temps plein, mais avec des avantages sociaux minimes. Elles n’ont pas de congés de maladie payés, ce qui rend les établissements vulnérables à la propagation des virus.

Les travailleurs de première ligne sont essentiels pour garantir les droits des patients, en particulier le respect de leur vie privée et de leur dignité. Ils ne savent peut-être pas que des pratiques de longue date violent les droits des résidents, mais les pratiques se sont normalisées, de sorte qu’ils ne les remettent pas en question. Une des personnes interviewées a soutenu que les fonctions corporelles sont perçues de manière plus pragmatique par certaines personnes soignantes; dans le cas de sa mère, le rideau d’intimité était rarement tiré pendant le changement des couches, malgré l’assurance d’intimité donnée par les établissements et stipulée par la législation. La dignité devient peu pratique lorsque les salles sont bondées et qu’il n’y a pas assez d’espace pour se déplacer.

En plus du bas salaire versé aux personnes soignantes, la coordination des soins semble être aux antipodes des soins promis par la législation. La plupart des établissements, privés et publics, ne disposent pas de fonds suffisants pour que les ratios de personnel soient suffisamment élevés pour bien prendre soin des infirmes qui se déplacent lentement ou qui ne peuvent pas s’habiller ou se nourrir. Le temps est un problème constant. Un ancien aide-soignant de l’Ontario a déclaré qu’avoir seulement 15 minutes pour réveiller un patient non mobile ou rebelle pour la journée, le changer de couche, le laver et le nourrir se traduit par de la bousculade. Et cette urgence peut entraîner des blessures involontaires infligées à un résident, lorsqu’on soulève ses membres ou qu’on le roule sur un côté. De plus, la frustration et l’impatience du personnel peuvent se traduire par des blessures qui ne sont pas accidentelles. Une personne a déclaré que les tibias de sa mère avaient été cassés par un employé pressé qui avait soulevé les traverses du lit sans s’apercevoir que les jambes de sa patiente pendaient sur le côté du lit.

La précipitation signifie également un manque de surveillance. Une personne a décrit la résidence de son parent où le personnel de la cuisine apporte les plateaux de repas aux patients incapables de se nourrir eux-mêmes et où les personnes soignantes occupées ne se présentent pas pour nourrir le patient avant que le personnel de cuisine ne revienne pour retirer le plateau. Dans la bousculade pour terminer la journée, les droits sont relégués au deuxième rang.

Pour aider un patient atteint de démence, il faut prendre le temps d’évaluer son tempérament, qui évolue au fur et à mesure que son état progresse. Brenda Fiske, d’Edmonton, était satisfaite des soins que sa mère a reçus dans le deuxième établissement où elle résidait. La démence de sa mère avait atteint le point de la non-communication, mais Mme Fiske avait constaté que le personnel savait comment approcher sa mère, ce qui signifie que celle-ci coopérait avec eux. Pour discuter des problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentaient, on organisait des rencontres avec les familles. Elle estimait que les droits de sa mère n’étaient pas négligés, plutôt que sa mère ne pouvait pas comprendre qu’elle avait des droits.

Bon nombre de gens ne réalisent pas entièrement que le parent qu’ils connaissaient n’est pas la personne à qui ils rendent visite, que ce parent ne sera plus jamais la même personne et qu’aucun niveau de soins ne pourra le faire revenir, dit Mme Fiske. Le désir de ce qui ne pourra jamais se produire est dévastateur et peut nuire à la communication, qui est ce dont on a le plus besoin.
 

Les solutions

Les droits et le niveau de soins sont étroitement interreliés. Il est impossible de garantir les droits lorsque tant d’éléments vont de travers. Il est clair que des changements sont nécessaires. Oriana Trombetti, membre de Retraités fédéraux, avocate générale retraitée du ministère de la Justice et aujourd’hui présidente du conseil d’administration de l’Eldercare Foundation of Ottawa, est catégorique :

« Les gouvernements n’ont pas suffisamment investi pour protéger les aînés vulnérables qui vivent dans des foyers de soins. La rémunération et la formation de ceux qui travaillent dans ces foyers sont insuffisantes. L’inspection des foyers n’a pas été effectuée [de manière cohérente]. Il faut changer les choses maintenant. Des normes nationales et un financement supplémentaire contribueraient grandement à améliorer la situation des aînés vivant dans des établissements de soins de longue durée au Canada. »

Les personnes interviewées ont des idées pour remédier à la situation, notamment de la cohérence pour le personnel et la formation, des programmes de bénévolat, une meilleure gestion du système, la fin de l’« entreposage » des aînés vulnérables, des foyers de groupe plutôt que des salles aux portes verrouillées et le retour à une vie multigénérationnelle.

La pandémie et les défenseurs des droits des patients ont aiguillonné les gouvernements à répondre aux problèmes du secteur des soins de longue durée. Pour l’instant, du moins. Les gouvernements ont dépensé de l’argent et promis davantage, redéfini les modèles de financement, modifié la législation pour augmenter les effectifs, et promis d’améliorer la formation des personnes soignantes et de fournir davantage de places.

Le ministre de la Santé de la Colombie- Britannique, Adrian Dix, a déclaré que le gouvernement procédera comme il l’a toujours fait, à savoir « être méthodique, être prudent, et tester [ce qu’il fait] avant de passer à l’étape suivante ». Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a promis d’« accélérer l’augmentation du nombre de lits de soins de longue durée ». En novembre 2020, il a annoncé de nouveaux engagements envers les résidents des établissements de soins de longue durée, dont une moyenne de « soins directs de quatre heures par jour par résident », une norme à respecter d’ici 2025. Il s’est également engagé à recruter et à former des dizaines de milliers de préposés aux services de soutien personnel et d’infirmières. La province investira près de 2 milliards de dollars sur cinq ans pour accroître la capacité de soins.

Quels que soient les promesses tenues et les changements apportés, les conditions de vie dans les foyers de soins de longue durée s’en trouveront améliorées, ce qui devrait contribuer à garantir les droits des résidents. Cela suffira-t-il?

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2020 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?