La tendance des soins à domicile s’affirme

09 décembre 2020
Isobel Mackenzie.
Isobel Mackenzie travaille avec les aînés depuis 20 ans et, en tant que protectrice des aînés en Colombie-Britannique, elle réclame aujourd'hui de meilleurs services de soins à domicile pour ceux-ci. Photo : Adrian Lam
 

Isobel Mackenzie travaille pour et auprès des aînés depuis plus de 20 ans. Elle a travaillé dans les domaines des soins de longue durée, des soins à domicile et des soins en milieu communautaire, mais ce sont les heures passées dans les salons des familles à discuter des plans de soins qui ont le plus défini sa vision sur la meilleure façon de servir les plus âgés d’entre nous.

« Je me souviens d’un couple comme si c’était hier, et de l’énergie qu’ils consacraient à tout juste fonctionner », dit-elle. « J’en faisais tout un plat et je m’inquiétais de ce qu’ils faisaient de travers, à mon avis. Mais cela n’avait aucune importance. Ils étaient heureux et parvenaient à ne pas rater l’essentiel. Alors, s’il leur arrivait d’oublier de payer un compte de temps en temps, qu’est-ce que cela pouvait bien faire? Et, dans l’ensemble, ils finissaient par payer leurs comptes. »

Pour d’autres, la fierté et la dignité étaient intimement liées à l’autonomie, que celle-ci se définisse par pouvoir aller se chercher un verre d’eau dans la cuisine ou ouvrir les rideaux de leur maison chaque matin. Même si des personnes jeunes et valides pourraient bien dire « tirez-moi dessus si jamais cela devient ma vie » dans une telle situation, Mme Mackenzie pense que les gens seront surpris par ce qui devient important en vieillissant.

« Qui sommes-nous pour juger du genre de qualité de cette vie? Cela revient à la personne qui la vit. Nous devons respecter cela, car en fin de compte, ce que tout le monde craint, c’est la perte de l’autonomie. »

Mme Mackenzie est la protectrice des aînés de la Colombie-Britannique. Elle est la première à occuper ce poste créé en 2014, par ailleurs le premier en son genre au Canada. Le fait d’avoir été témoin du degré de fragilité permettant à une personne de toujours bénéficier d’une vie enrichissante à la maison au lieu de devoir aller dans une maison de soins a constitué la base de sa réflexion.

« Nous pensons tous pouvoir être objectifs, mais cette objectivité est filtrée par la lentille à travers laquelle nous voyons les choses », dit Mme Mackenzie. « Pour moi, rien n’illustre mieux cela que la façon dont les différentes personnes du système de soins de santé considèrent la capacité d’une personne à vivre de façon autonome. Leur filtre concerne le risque et la tolérance au risque. Nous occupons tous un échelon différent sur cette échelle de risque avec lequel nous sommes à l’aise pour nous-mêmes, et nous le projetons sur les autres ».

Les enfants adultes font de même. Souvent terrifiés par le risque, lorsque leur parent fait une chute, ils le placent dans un foyer de soins de longue durée pour le protéger.


À l’heure actuelle, chaque Canadien de chaque province a la possibilité d’être dans une maison de soins financée par l’État.


Mais étant donné ce qui s’est passé dans les foyers de soins pendant la pandémie de COVID-19, Mme Mackenzie prévoit que cela changera et qu’on s’efforcera de mieux permettre aux gens de chez eux. Elle suit l’évolution de la situation en Colombie-Britannique et s’attend à ce qu’une tendance se dessine d’ici l’année prochaine.

Mme Mackenzie tient à ce que les aînés qui veulent rester chez eux obtiennent tout le soutien possible dont ils bénéficieraient s’ils vivaient dans un foyer de soins. Des indicateurs et des évaluations cliniques solides montrent que les gens peuvent vivre chez eux avec satisfaction, même avec un degré de fragilité comparable à celui des personnes vivant dans un foyer de soins de longue durée.

« Il est absolument possible d’y arriver », déclare Mme Mackenzie.

Et, au plus haut degré de fragilité, cela dépend des ressources personnelles. Il faut donc que les politiques publiques évoluent. À l’heure actuelle, chaque Canadien de chaque province a la possibilité d’être dans une maison de soins financée par l’État. Le coût est partagé avec le gouvernement, sous forme de subvention. Elle dit que nous devrions être prêts à fournir ce même niveau de soutien pour maintenir les gens chez eux, mais qu’« aucune province ne réussit vraiment à le faire de manière systémique ».

Si Mme Mackenzie avait son mot à dire, une personne âgée, où qu’elle soit au Canada, pourrait passer un coup de fil, expliquer sa situation et, au lieu de se voir remettre une liste de références pour essayer de s’orienter, obtiendrait un gestionnaire de cas — un point de contact unique — pour organiser tout ce dont elle a besoin, du personnel soignant aux barres d’appui à installer, pour faciliter son vieillissement à la maison. Sa part des coûts correspondrait à ce qu’elle est en mesure de payer.

Après des mois de reportages sur les décès dans les foyers de soins de longue durée et sur les aînés qui luttent pour répondre à leurs besoins tout en étant isolés chez eux, l’année 2020 pourrait enfin marquer un tournant.

« Je pense que c’est un signal d’alarme pour la grande majorité des Canadiens qui n’ont aucun lien personnel avec les soins de longue durée, mais qui ont l’impression que le Canada prend soin de ses aînés, avec ces belles maisons de retraite où les gens peuvent aller s’ils ont besoin d’aide », déclare Mme Mackenzie.


« Mais avec les lignes de faille révélées par la COVID, on s’est rendu compte que la vie dans les foyers de soins de longue durée ne s’apparente peut-être pas tout à fait à l’image que les gens s’en font. »


Le même commentaire est valable pour les aînés qui vivent dans la communauté avec de très faibles revenus, qui ont réussi à joindre les deux bouts en utilisant Internet à la bibliothèque et en allant dans un centre pour personnes âgées pour un dîner gratuit.

« Et, lorsque tout cela n’a plus été disponible pendant longtemps, ces aînés se sont retrouvés en difficulté. La COVID n’a pas créé ces problèmes, mais elle a révélé et exacerbé certains d’entre eux. »

Au lieu de poser des questions difficiles et d’examiner les preuves de la réalité des soins aux aînés, les Canadiens se sont laissés rassurer par des dépliants sur papier glacé. Certes, on a revendiqué l’établissement d’une stratégie nationale pour les aînés ces dernières années, mais Mme Mackenzie affirme que les déclarations de vision ne suffiront pas à favoriser le changement. Ce qu’il faut, ce sont des normes nationales concrètes, mesurables et assorties de l’obligation de rendre des comptes pour les respecter et les maintenir.

Dans le discours du Trône, l’engagement du gouvernement fédéral de travailler avec les provinces et les territoires pour créer des normes nationales en matière de soins de longue durée et de prendre des mesures pour aider les gens à rester chez eux plus longtemps l’a encouragée. Il est bien beau de dire que chacun a le droit de vivre dans la dignité et d’avoir accès aux soins, mais qu’est-ce que cela signifie en réalité? Qu’il s’agisse des heures de soins fournies aux résidents d’un foyer ou du panier de services intégrés auquel les personnes de la communauté ont droit pour les aider à vivre chez elles, Mme Mackenzie estime qu’il est essentiel de les stipuler dans les normes. La Colombie-Britannique a commencé à réunir et à mesurer les données sur les heures de soins et dispose d’une norme pour les comparer. Sans cela, dit-elle, les foyers de soins de la province compteraient beaucoup moins de personnel qu’à l’heure actuelle.

Selon elle, l’absence de normes explique le choc qu’ont ressenti les membres des Forces armées canadiennes quand ils ont été envoyés en renfort dans des foyers de soins.

« Ils ne parvenaient tout simplement pas à y croire, à cause de leur travail et de la nature normalisée de leur formation. »

On peut commencer par normaliser les titres. Même si une infirmière demeure une infirmière dans chaque province, une aide-soignante en Colombie-Britannique est une préposée aux services soutien personnel en Ontario. « Concrètement, nous devons rémunérer davantage ces personnes et nous devons respecter leur profession. Ce sera le catalyseur de l’amélioration des normes, car les gens considéreront qu’il s’agit d’un métier qu’ils peuvent conserver toute leur vie parce qu’il leur procure un revenu annuel raisonnable ».

En plus de l’augmentation du salaire, Mme Mackenzie appuie l’introduction d’une accréditation au niveau provincial avec examen national, ce qui permettrait d’uniformiser la formation et d’intégrer des normes de formation concernant les équipements de protection individuelle et le contrôle des infections.

« Nous ne pourrons pas changer les choses du jour au lendemain. Il faudra probablement quatre ou cinq ans... mais je pense que tous les éléments sont là pour commencer », dit-elle. « Chaque province a déjà un organisme de réglementation pour ses infirmières. Le gouvernement fédéral pourrait donner des directives à ce sujet et exiger que chaque province ait un registre d’aides-soignants. »

Dans le cadre d’autres mesures ciblées pour les préposés aux services de soutien personnel et la reconnaissance de leur service essentiel dans les soins aux aînés vulnérables, le discours du Trône a mentionné un supplément de salaire fédéral pour eux.

Le discours comportait également un vague engagement à augmenter la Sécurité de la vieillesse lorsqu’un aîné a 75 ans et à augmenter la prestation de survivant du Régime de pensions du Canada.

Selon Mme Mackenzie, le tiers des aînés canadiens touchent le Supplément de revenu garanti, ce qui n’est pas un nombre négligeable.

« Ils sont au bord du gouffre », dit- elle. « Ils peuvent tenir le coup en se débrouillant tant qu’il ne se passe rien, mais ils sont à une grosse facture du désastre. »


« Beaucoup de ces décisions sont prises par des gens qui ne voient que les chiffres sur le papier. Ils ne sont pas vraiment touchés par les personnes qui ont des difficultés financières en tant qu’aînés. »


Même avec une augmentation des paiements, certaines personnes continueront à être laissées pour compte, selon leur état de santé. Alors que le revenu représente un côté de la médaille, l’autre côté est rempli de dépenses pour tout, allant des prothèses auditives et des fauteuils roulants aux soins dentaires et aux produits pour l’incontinence. Il s’agit d’articles pour lesquels les gens n’ont pas le choix, et leurs coûts importants pourraient effectivement pousser quelqu’un dans la pauvreté. À l’heure actuelle, il n’existe pas de système pour les payer.

Long-term care.

Selon Mme Mackenzie, l’absence de normes explique le choc qu’ont ressenti les membres des Forces armées canadiennes, photographiés ici dans un établissement de soins de longue durée de Montréal, quand ils ont été envoyés en renfort dans des foyers de soins. Photo : Cpl Geneviève Beaulieu
 

« Beaucoup de ces décisions sont prises par des gens qui ne voient que les chiffres sur le papier. Ils ne sont pas vraiment touchés par les personnes qui ont des difficultés financières en tant qu’aînés », déclare Mme Mackenzie. « Fournir plus de revenus à tout le monde ne va pas résoudre l’inégalité qui existe. Nous devrons examiner ce que nous fournissons aux gens gratuitement ou sous condition de revenu, ce qui est probablement la manière la plus durable de le faire ».

Ce n’est là rien de nouveau. Reconnaissant que les besoins en médicaments augmenteraient avec le vieillissement de la population, chaque province a décidé collectivement, il y a quelques années, d’offrir un type d’assurance-médicaments aux personnes de plus de 65 ans.

« Mais nous devons réfléchir à de nombreux autres éléments », dit Mme Mackenzie. « Répétons-le, le rôle que le gouvernement fédéral peut jouer concerne les normes et l’établissement d’attentes quant à ses attentes pour l’argent qu’il accorde. Personne n’aime les conditions... mais [un manque de conditions] c’est ce qui nous mène à cet ensemble disparate à travers le pays ».

Que ce soit à Corner Brook ou à Cranbrook, le corps vieillit de la même façon, et les soins, les services et les financements disponibles pour les gens devraient en tenir compte.

Mme Mackenzie reconnaît qu’il s’agit là de décisions politiques difficiles.

« Mais au bout du compte, les Canadiens doivent se regarder dans le miroir et se demander : “Dans quelle mesure vais-je soutenir financièrement les trois dernières années de la vie d’une personne? Qu’est-ce que je suis prêt à fournir et dans quelle mesure est-ce universel?” »
 

En quête d’un protecteur national pour les aînés

La protectrice des aînés de la Colombie-Britannique Isobel Mackenzie assume un rôle plutôt rare au Canada. Depuis 2017, ses homologues sont Suzanne Brake à Terre-Neuve-et-Labrador, et Norman Bossé au Nouveau-Brunswick, encore que ce dernier s’acquitte d’un mandat plus vaste, représentant les enfants, les jeunes et les aînés. Il s’exerce des pressions pour créer des bureaux similaires en Ontario et au Manitoba, mais avec la décision de l’Alberta de supprimer progressivement ce rôle l’année dernière, le Canada ne compte que ce « trio ».

Mme Mackenzie estime que la création d’un réseau de protecteurs des aînés dans chacune des provinces pourrait produire la collaboration efficace qui existe déjà entre les protecteurs des enfants et des jeunes. Idéalement, ce réseau compterait aussi un protecteur national qui ne serait pas ministre redevable au Cabinet fédéral.

Même si son bureau n’a pas l’autorité législative d’imposer ses directives aux régies ou aux ministres responsables de la santé, Mme Mackenzie a néanmoins la prérogative d’obliger les gouvernements et les fournisseurs de service à diffuser l’information et à s’adresser directement au public.

« À mon avis, le public a besoin de savoir. Au bout du compte, ce sont les citoyens qui amorcent le changement et ils doivent avoir accès à l’information ».

À l’heure actuelle, d’innombrables données sont collectées auprès des populations vivant à domicile ou dans un établissement de soins de longue durée au Canada, mais l’analyse de ces données s’effectue sans la cohésivité nécessaire à mieux orienter les décisions.

« S’il existait un Conseil de protecteurs provinciaux des aînés, nous pourrions nous acquitter de cette tâche. Et, grâce à un protecteur national des aînés, nous pourrions certainement avoir une perspective nationale sur ces enjeux. Ce serait une avancée inestimable », conclut Mme Mackenzie.

 

Cet article a été publié dans le numéro de l'hiver 2020 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?