La similiviande, ni chair ni poisson

07 avril 2020
BeyondMeat.

À moins de vivre sur une autre planète, personne n’aurait pu échapper au tapage autour des hambourgeois à base de plantes de ces douze derniers mois.

La presse écrite et les journaux télévisés ont fait tout un plat de l’arrivée de ces nouveaux produits sur le marché. Les marques Beyond Meat, Lightlife et Impossible Burger sont les enfants chéris de la restauration rapide, et des chaînes bien connues, comme A&W, affichent maintenant ces produits végétaliens au menu. On les trouve dans toutes les épiceries. Et, preuve manifeste de leur vogue, la valeur des titres de la société Beyond Meat a grimpé de 45$ au moment du premier appel public à l’épargne en mai dernier au prix record de 239$ en juillet. Se situant maintenant aux alentours de 100$, elle représente encore un bénéfice assez coquet pour les premiers investisseurs.
 

Goût évocateur de viande, mais conscience tranquille

Ces nouveaux produits sont conçus pour imiter la texture et la saveur des galettes de bœuf haché (certains contiennent même du jus de betterave, pour «saigner» à la cuisson comme le ferait la viande), tout en présentant des bienfaits potentiels pour la planète. Sans parler du fait qu’ils ne coûtent la vie à aucun animal. Toutefois, c’est sur leur supériorité présumée en matière de bienfaits pour la santé que la couverture médiatique a beaucoup insisté.

Mais est-ce bien le cas?

«Du point de vue nutritionnel, non», affirme Carol Dombrow, conseillère en diététique à la Fondation des maladies du cœur et de l’AVC du Canada.

«Les nouvelles galettes à base de plantes qui imitent le bœuf sont ultra-transformées. Même si le Guide alimentaire canadien recommande une consommation accrue d’aliments à base de plantes, à mon avis ce n’est pas ce que ses auteurs avaient en tête».

Certaines galettes à base de plantes contiennent plus de graisses saturées qu’une galette de bœuf haché, mais le sodium représente la différence majeure.

«Une galette de bœuf haché maigre contient 80 milligrammes de sodium, tandis que ces produits en contiennent entre 370 et 390 milligrammes. Sans compter le petit pain». Dans les établissements d’une certaine chaîne de restauration rapide, le petit pain fait passer la teneur en sodium à 1100 milligrammes.

«C’est vraiment préoccupant, surtout pour les aînés», déclare Mme Dombrow. «La prévalence de l’hypertension est colossale dans ce groupe, qui ne devrait pas accroître sa consommation de sodium. À mesure que les gens vieillissent, leurs besoins en calories diminuent et leurs besoins en nutriments augmentent, aussi tous leurs choix alimentaires sont importants».

Il faut donc donner la priorité aux aliments entiers non transformés. Voici sa règle d’or : plus la liste d’ingrédients est courte, mieux c’est.

«Ces hambourgeois contiennent 20 ingrédients, dont beaucoup que la plupart des gens ne connaissent pas», ajoute Mme Dombrow.

Mais ce qui inquiète Carolyn Waddell, c’est de ne pas savoir ce que renferme le petit pain.

«Cela ne ressemble pas à une galette d’épinards ou de haricots. Pour moi, c’est un mélange de choses difficilement identifiables», remarque l’habitante d’Ottawa.

«On dirait que c’est entièrement déchiqueté à la machine, puis reconstitué».

Mme Waddell et son époux surveillent de près leur consommation de sucre et de sodium. Ils ne mangent pas souvent de hambourgeois au restaurant.

Mme Waddell, qui a pris part au sondage Facebook de Sage au sujet des hambourgeois sans viande, n’a pas encore essayé ces nouveaux produits à base de plantes, mais ne se dit pas contre.

«Cela s’impose. Je ne peux guère me plaindre si je n’en ai pas goûté au moins un. Je n’ai rien contre eux, mais ils devront être délicieux et je devrai être convaincue qu’ils ne sont pas mauvais pour la santé».

Pour Pamela Fergusson, diététiste en alimentation à base de plantes établie à Nelson, en C.-B., les gens qui cherchent à savoir si les hambourgeois simili-viande sont sains passent à côté de la question.

«Ce ne sont pas des aliments que je qualifierais de bons pour la santé», précise-telle. «À moins de confectionner votre propre galette à base de haricots noirs et de quinoa, ne vous faites aucune illusion.»

De plus, elle se demande si quiconque commande un hambourgeois dans un restaurant croit vraiment que c’est un repas sain.

«Je pense que les gens savent qu’ils font un écart. Comme quand on commande une pizza ou qu’on va au restaurant chinois. Ces aliments transformés à haute teneur en sodium et en graisses contiennent aussi des agents de conservation».

Ils présentent toutefois l’avantage des fibres, un ingrédient qui manque aux galettes de viande. Mme Fergusson explique que les gens «sont obsédés par les protéines». Et malgré le fait que pratiquement tout le monde en consomme suffisamment, seuls cinq pour cent des Canadiens satisfont à leurs besoins quotidiens en fibres alimentaires.


Dans les six mois qui ont suivi le lancement de la galette Beyond Burger au Canada, la distribution s’est étendue à plus de 4 000 détaillants.


Elle souligne l’importance de surveiller son régime alimentaire complet plutôt que de se soucier exclusivement d’un composant. L’analyse nutritionnelle se fonde sur l’ensemble de la prise alimentaire. Donc, une personne voulant manger un hambourgeois sans viande devrait évaluer le reste de son assiette, et tenir compte des plats d’accompagnement et des autres aliments consommés au cours de la journée.

Tout compte fait, Mme Fergusson ne voit aucune raison de s’inquiéter de la liste d’ingrédients des nouvelles galettes à base de plantes.

Cela n’empêche pourtant pas certains groupes de défense des consommateurs de semer la peur. Le Center for Consumer Freedom, une société américaine de relations publiques recevant l’appui financier de producteurs de viande, mène une campagne à l’aide d’annonces pleine page dans des journaux comme le New York Times, dans l’espoir d’inspirer de la crainte au sujet des galettes à base de plantes, notamment en demandant : «Que dissimule votre viande végétale?»

«Ils souhaitent vraiment effrayer les gens avec la liste d’ingrédients des aliments à base de plantes», avance Mme Fergusson. «Ils tentent de rendre les ingrédients aussi sinistres que possible et les décrivent pour donner une impression de danger. En réalité, ce sont des ingrédients communément présents dans tous les aliments transformés, y compris ceux qui contiennent de la viande».

Selon la société Beyond Meat, ses produits sont faits «à partir d’ingrédients végétaux simples, sans aucun OGM (organisme génétiquement modifié), soja, gluten ou ingrédient artificiel». Lesdits ingrédients comprennent entre autres des protéines de pois purifiées, de l’huile de noix de coco et de canola, des protéines de riz, de la fécule de pomme de terre et de l’extrait de jus de betterave pour la couleur.

De plus, affirment l’entreprise, les produits ne contiennent aucun des éléments de protéine animale critiqués, dont le fer hémique, les stimulants inflammatoires, les composés carcinogènes formés à la cuisson, les hormones, les antibiotiques ou, encore, ce que le département de l’Agriculture des États-Unis appelle les contaminants «résiduels» résultant du processus de production, que renferment parfois les viandes d’origine commerciale.

Parallèlement, la méthode de production des aliments Beyond Meat consiste à chauffer, à refroidir et à presser, «les trois étapes mêmes de la fabrication des pâtes alimentaires».
 

Si on souhaite simplement éviter la viande

Colleen Milton Hasiak, qui est membre de notre Association, a adopté il y a plusieurs années une alimentation à base d’aliments végétaux non transformés parce qu’elle souffre d’une maladie du rein et qu’un régime pauvre en protéines lui convient mieux. Elle ne se dit pas végétalienne, du fait qu’elle étale encore occasionnellement de la mayonnaise sur ses sandwichs à l’asperge et ne refuse pas une part de gâteau d’anniversaire à base d’œufs.

«De plus, quand je retourne sur la côte Est et que mon oncle de 93 ans cuisine du homard, je n’ai aucune envie d’expliquer pourquoi je ne consomme plus de produits d’origine animale», confie l’habitante de Windsor, en Ontario.

En éliminant la viande, elle a également supprimé les aliments transformés. Mais elle n’a rien contre un hambourgeois à base de plantes, à l’occasion.

«J’adore faire la cuisine et je préfère manger chez moi, mais si je sors avec des amis, il m’arrive de manger un hambourgeois préparé commercialement contenant des ingrédients que je ne consomme pas normalement. S’abstenir de viande ne signifie pas qu’on n’aime pas les hambourgeois. On veut simplement éviter la viande».

Mme Hasiak a entendu des gens se demander — comme beaucoup l’ont fait dans le cadre de notre sondage Facebook auprès des membres de Retraités fédéraux — pourquoi un végétalien désirerait manger un hambourgeois. Elle explique que c’est souvent la réaction initiale des gens mal informés.

«Il me semble que c’est le mot ‘hambourgeois’ qui donne du mal aux gens. Je pense qu’ils aimeraient mieux que les non-mangeurs de viande trouvent un nouveau mot».

L’adoption d’un néologisme paraît aussi improbable que la disparition prochaine des nouveaux produits à base de plantes. Il semblerait même que ce soit tout le contraire.

«Les nouvelles générations s’intéressent plus aux aliments entiers et aux régimes alimentaires à base de plantes», estime Mme Hasiak. «Non seulement pour les bienfaits pour la santé, mais aussi pour l’environnement. Il y a une tendance plus marquée à l’élimination des sources alimentaires animales pour des raisons d’éthique, pour le bien de la planète et des animaux. Je le constate chez nos enfants».

Mme Fergusson observe que la production de galettes à base de plantes ne nécessite pas beaucoup d’eau et ne crée pas de gaz à effet de serre, contrairement à l’élevage du bétail, source de grandes quantités d’émissions de méthane. Et, du point de vue du bien-être, exclure les animaux de l’équation représente un avantage pour bien des gens.

«Il va s’opérer un changement», suggère-t-elle. «Ces entreprises vont continuer d’améliorer leurs produits. Elles vont perfectionner la technologie, faire tomber les coûts, employer de meilleurs ingrédients et arriver à rapprocher encore plus leurs produits de la viande.»

La société Beyond Meat a annoncé son engagement à «un cycle rigoureux d’innovation rapide et intense dans le but d’améliorer encore nos produits en matière de goût, de nutrition et de prix», mais la demande est déjà soutenue.

«Dans les six mois qui ont suivi le lancement de la galette Beyond Burger au Canada, la distribution s’est étendue à plus de 4000 détaillants», a précisé l’entreprise dans un communiqué de presse.

À titre d’exemple du potentiel de croissance, Mme Fergusson cite les succédanés de produits laitiers à base de plantes. Il y a dix ans, les substituts de lait de vache se limitaient aux boissons au soja et au riz. De nos jours, les magasins offrent une panoplie d’autres choix.

«Même les consommateurs d’aliments d’origine animale achètent des boissons à base de plantes au lieu du lait. C’est ce qui se passe avec les substituts de viande», observe-t-elle. «Les personnes omnivores désirant faire un repas végétalien plusieurs fois par semaine en achètent souvent».

Elle encourage les gens à essayer les produits et à ne pas les prendre trop au sérieux.

«Mais si vous recherchez de véritables bienfaits pour la santé, consommez-les avec des aliments entiers, soit des fruits, des légumes, des noix, des graines et des légumineuses».

Après tout, les plantes qui garantissent le meilleur rapport de qualité nutritionnel pour le prix ne se présentent pas sous emballage.

 

Cet article a été publié dans le numéro de printemps 2020 de notre magazine interne, Sage. Veuillez télécharger la version intégrale de l’article ou du numéro, et feuilletez nos anciens numéros!