Pour en finir avec les fausses nouvelles

14 mars 2023
Venise, Ottawa et un panneau d'Élections Canada.
On voit ici les cygnes toujours présents à Burano, à l’extérieur de Venise, le convoi de protestation sur la colline du Parlement en février 2022 (photo : Véronic Gagnon) et un panneau d’Élections Canada. Durant l'élection fédérale de 2021, les opposants aux mandats de vaccination et aux mesures de confinement ont fait circuler de la désinformation sur la COVID-19.
 

Kimiz Dalkir a écrit un livre sur la mésinformation et détient un doctorat en technologie de l’éducation. Et pourtant, pendant la pandémie, elle s’est laissée prendre au piège des fausses nouvelles.

Professeure agrégée et directrice de l’École des sciences de l’information de l’Université McGill à Montréal, Mme Dalkir a eu la surprise d’y avoir cru. Heureusement, il s’agissait d’une bonne nouvelle relativement anodine sur le retour des cygnes et des dauphins dans les canaux de Venise en raison de la réduction de la pollution découlant des mesures de confinement. En fait, les cygnes apparaissent régulièrement dans les canaux de Burano, qui se trouve dans la grande région métropolitaine de Venise. Mais les dauphins? Eh bien, ils avaient été photographiés dans un port de Sardaigne situé à des centaines de kilomètres de Venise…

« Je crois avoir vu la photo pour la première fois sur Facebook », se souvient Mme Dalkir. « On pouvait y voir des cygnes magnifiques s’ébattant dans les canaux de Venise. Et comme tout le monde était confiné à la maison, l’environnement semblait s’être dépollué de lui-même. Il était réconfortant de penser que la pandémie avait peut-être un bon côté. »

Cette fausse nouvelle était assez inoffensive. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.

La mésinformation est définie comme une information innocemment fausse ou trompeuse, tandis que la désinformation est intentionnelle. Il est facile de se dire d’un ton suffisant que la mésinformation et la désinformation sont du ressort de pays comme les États-Unis, la Russie et la Chine. Le Canada n’est pas à l’abri.

Justement, cet automne, lors des élections provinciales québécoises, une fausse nouvelle a été publiée, d’abord sous forme de message sur Facebook. Selon cette information fallacieuse, François Legault, chef de la Coalition avenir Québec et premier ministre sortant, avait été chahuté avec une telle véhémence dans un restaurant de Beauceville, au Québec qu’il avait dû quitter les lieux avant même d’avoir été servi.

La nouvelle a été publiée sur le groupe Facebook LibreChoix et partagée plus de 1 000 fois. Elle a recueilli presque autant de commentaires.

Seul inconvénient : rien de tout cela n’était vrai. En réalité, M. Legault avait été chaleureusement accueilli au restaurant. Entre-temps, Carl Giroux, le dirigeant du groupe LibreChoix, en profitait pour dénoncer les mesures de lutte contre la pandémie, notamment les masques obligatoires et les codes QR requis dans la province à titre de preuve de vaccination.

Mme Dalkir affirme que ces publications posent un danger supplémentaire, car les médias à grand rayonnement signaleront généralement qu’une nouvelle est fausse dans le cadre d’un reportage. Bien qu’il soit louable de rétablir les faits, il n’empêche que l’on répète la même histoire, ce qui a en renforce l’existence dans l’esprit des gens. Et si un sceptique soulève le fait qu’une nouvelle s’est avérée un canular, les adeptes convaincus rétorqueront : « Évidemment, c’est ce que vont toujours répondre nos adversaires! » De sorte que les sceptiques sont alors accusés de comploter pour dissimuler la vérité.

D’autres incidents du même genre sont survenus au Canada pendant l’élection fédérale de 2021, durant laquelle des manifestants qui s’opposaient aux mesures de santé et aux politiques de vaccination relatives à la pandémie ont répandu des renseignements erronés sur la COVID-19. On a également soulevé sur les plateformes de médias sociaux des allégations de fraude électorale généralisée, comparables à celles qui avaient été formulées au sud de la frontière et qui avaient abouti le 6 janvier 2021 à une tentative de coup d’État au Capitole, laquelle avait été alimentée par les partisans de l’ancien président américain Donald Trump, qui était persuadé d’avoir vraiment remporté les élections de 2020.
 

Pourquoi les gens tombent-ils dans le panneau?

Dans ses études menées sur la mésinformation, Merlyna Lim, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les médias numériques et la société de réseautage mondial et professeure en études des médias et des communications à l’Université Carleton, a constaté que la vulnérabilité à la désinformation est souvent associée aux types d’information et de groupes auxquels une personne est abonnée.

« Les jeunes se radicalisent en raison [de leur association] avec certains groupes sociaux radicaux », explique Mme Lim. « Cela relève surtout du réseau social limité dont ils disposent et par la distance entre eux et toute communauté qui tient des discussions musclées sur la technologie, les médias sociaux et l’information en général. »

Des études ont révélé que les aînés sont un groupe particulièrement vulnérable, particulièrement ceux de plus de 65 ans. Toutefois, ces résultats ont laissé perplexe Ryan Moore, chercheur de l’Université Stanford.

« [Les aînés] ont tendance à être les citoyens les plus démocratiques », fait valoir M. Moore. « Ils votent. Ils portent davantage attention aux nouvelles que les jeunes. Ils affirment que le civisme et ce genre de choses sont vraiment importants pour eux. Et il y a un tas de recherches en sciences politiques qui disent que, lorsqu’on leur pose des questions factuelles sur des problèmes et le fonctionnement du gouvernement, ils en savent bien plus. »

Compte tenu de tous ces renseignements, il a eu du mal à comprendre les conclusions des premières études sur la mésinformation.

« On aurait pu croire qu’il était possible de prédire que les aînés seraient les plus à l’abri de la mésinformation, mais [selon les recherches], il semblerait que la tendance se soit inversée en ligne, où les aînés seraient les plus susceptibles d’être victimes de fausses nouvelles. »

M. Moore a pensé que ces résultats avaient quelque chose à voir avec la littératie numérique. Les données montrent qu’il avait raison. Pour remédier à la situation, il a travaillé avec l’Institut Poynter à la MediaWise Initiative à l’élaboration d’un programme de littératie sur les médias numériques, un cours de courte durée conçu spécifiquement pour les aînés afin de les aider à repérer la mésinformation en ligne. La participation à ce programme a été bonne et les résultats encore meilleurs, rapporte M. Moore.
 

Les aînés peuvent faire partie de la solution

M. Moore affirme que les aînés possèdent plusieurs atouts que la société peut exploiter pour contrer la mésinformation. Par exemple, d’après des études en psychologie, il semblerait qu’avec l’âge, nous devenons de plus en plus efficaces pour repérer les menteurs.

« Notre bagage d’expériences nous permet de [déterminer si] l’information est juste ou erronée. Les aînés sont plus conscients de leurs devoirs civiques. Ils sont également plus susceptibles d’avoir du temps libre, car ils sont probablement à la retraite et sont plus habiles à détecter la tromperie ailleurs qu’en ligne », mentionne M. Moore. « C’est pour toutes ces raisons que je suis si enthousiaste à l’idée de travailler sur des outils qui aideront cette population à acquérir des compétences en matière d’Internet et de littératie numérique. Je pense que, si nous pouvons renforcer ces compétences, notre population âgée pourra être un atout de taille dans la lutte contre la mésinformation. »
 

Principaux conseils pour éviter d’être victime de  la mésinformation

Voici quelques conseils de base, inspirés par nos discussions avec les experts et le contenu du cours MediaWise, qui pourraient vous  éviter de tomber dans le piège de  la mésinformation.  

Voici une courte liste des 10 meilleurs conseils :

  1. Débusquez qui se cache derrière une information. Si vous lisez un article sur le site Web du New York Times, il sera plus digne de confiance qu’un message Facebook qui prétend contenir des informations du New York Times. Allez chercher vos renseignements directement à la source.
  2. Déterminez quelles sont les preuves des allégations que vous lisez. Revérifiez votre information auprès de sources crédibles. À ce propos, Snopes.com* est un site Web fiable qui vérifie des faits et repère souvent des canulars.
  3. Familiarisez-vous avec les signaux d’alarme. Si une nouvelle crée des émotions fortes, surtout de la surprise ou du dégoût, MediaWise vous met en garde : elle pourrait avoir été conçue pour vous troubler et vous inciter à la partager. Autres signaux d’alarme : les articles non datés et les publications virales venant d’un compte non vérifié.
  4. Les médias sociaux sont dotés d’algorithmes. Ces suites d’instructions créent un monde un peu utopique où toutes les opinions que vous verrez seront semblables aux vôtres ou légitimeront votre point de vue. Vous serez donc plus susceptible de partager une information sans la vérifier. Méfiez-vous de votre propre biais de confirmation! Comme l’a confirmé l’exemple ci-haut concernant M. Legault, ses adversaires politiques se sont fait un malin plaisir de partager un mème (mot, image ou vidéo qui se propage de façon virale sur le Web) qui le faisait mal paraître.
  5. Ralentissez le rythme. « [Quand il suffit] de promener ses doigts sur un petit clavier pour accéder à de l’information, nous agissons trop rapidement », observe Mme Lim. Il faut prendre un temps d’arrêt et se poser des questions. D’où provient l’information? Qui l’a partagée? Si la source n’est pas crédible, passez à autre chose. Si l’information s’est faufilée dans vos courriels ou vos messages, supprimez-la tout simplement. »
  6. Utilisez la règle de trois, conseille Mme Lim. Mme Dalkir, qui est entièrement d’accord, appelle cette règle une « triangulation ». Si vous pouvez confirmer la véracité des faits que vous envisagez de croire ou même de partager auprès de trois sources dignes de confiance, c’est qu’ils sont probablement vrais. Sinon, ils sont plus suspects.
  7. Pratiquez la « lecture latérale». MediaWise recommande d’ouvrir plusieurs onglets dans votre navigateur et de vérifier auprès de sources que vous estimez crédibles ce qu’elles disent sur le même sujet. Pour en revenir aux cygnes, une recherche rapide sur Google avec les termes « cygnes, dauphins, Venise » produit plusieurs résultats réfutant les affirmations contenues dans les mèmes. 
  8. Soyez vigilant. Mme Dalkir rappelle que les nouvelles bidon concernant des organisations comme l’Agence du revenu du Canada (ARC) seront souvent réfutées sur leur propre site Web.
  9. Pour plus de sécurité, il vaut mieux être sceptique. Grâce à l’intelligence artificielle (IA), les malfaiteurs d’Internet peuvent utiliser des logiciels « d’hypertrucage » qui apprennent à reproduire les mouvements faciaux d’une personne et, s’ils ont accès à sa voix, ce qui est facile avec les politiciens, ils peuvent littéralement leur faire dire tout ce qu’ils veulent. Soyez-en conscient lorsque vous regardez et partagez des vidéos.
  10. Faites preuve de bon sens. Pour reprendre les propos de Serge Blais, directeur général de l’Institut de développement professionnel de l’Université d’Ottawa, accepteriez-vous de prendre une pilule, sans savoir de quoi il s’agit, offerte dans la rue par un pur inconnu? Et accepteriez-vous de donner cette pilule à un membre de votre famille ou à un ami? « Nous devons avoir la même approche avec l’information en ligne », explique M. Blais.

 

Cet article a été publié dans le numéro du l'hiver 2022 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?