Ô Canada!

09 juin 2025
Judy Hutmacher brandit le drapeau.
Judy Hutmacher « brandit le drapeau » de sa porte de garage et sur sa voiture depuis que Donald Trump a commencé à menacer la souveraineté du Canada et son économie avec des tarifs douaniers. Photo : Richard Lam Photography
 

Pour Judy Hutmacher, brandir le drapeau canadien a pris un tout nouveau sens. Cette membre de Retraités fédéraux en arbore désormais un sur sa voiture et un autre à son domicile de Surrey, en Colombie-Britannique. 

Lorsqu’il est devenu évident que Donald Trump envisageait sérieusement d’imposer des tarifs douaniers variables sur les produits canadiens, la nouvelle de Canadiens vendant leurs biens immobiliers aux États-Unis s’est rapidement répandue. Des Canadiens ont ensuite annulé leurs projets de voyage aux États-Unis. Puis, ils se sont tournés vers les produits faits au Canada.

Entre les conséquences à long terme sur leur portefeuille, l’atteinte à leur identité canadienne et l’idée que leur pays pourrait devenir le 51e État, les Canadiens — dont les membres de Retraités fédéraux — cherchent des moyens de renforcer l’économie du pays et de gagner en autonomie. 

Mme Hutmacher suit les pages Facebook consacrées aux produits « faits au Canada » et a constitué une liste grandissante d’articles canadiens à acheter. Les vitamines Jamieson figurent en tête de liste, suivies des pâtes Primo, des mouchoirs Royale, du détergent Tru Earth, de la mayonnaise Hellmann’s et de la moutarde French’s. Et elle pourrait aussi se procurer sa confiture préférée de France ou des boules de séchage faites de laine néo-zélandaise.

« Les petits gestes que nous pouvons poser sont ceux qui comptent le plus », estime-t-elle. « Je porte plus attention aux produits canadiens et, dans la mesure du possible, j’achète des articles faits au Canada », mentionne cette retraitée qui a travaillé au sein de différents ministères du gouvernement fédéral avant de prendre sa retraite il y a dix-huit ans.  

« Ce ne sont que de petits détails, mais ils ont une grande importance à mes yeux, pour démontrer notre patriotisme. De mon vivant, nous avons entretenu des liens très étroits avec les États-Unis. Nous avons compté sur [les États-Unis] pour obtenir des produits à meilleur prix. Nous avons eu tort d’agir ainsi et nous allons en subir les conséquences de plusieurs façons. »

Constatant la montée des prix des produits, elle s’inquiète, non pour elle-même, mais pour les autres générations ou les personnes qui n’ont pas la même chance qu’elle. Elle suit aussi la politique de plus près, car elle est consciente que notre monde évolue rapidement et craint que le cours de l’histoire ne soit en train de changer radicalement.

En février, Abacus Data a observé des changements dans la confiance des consommateurs canadiens et a constaté qu’ils souhaitaient de plus en plus acheter des produits locaux et, dans certains cas, éviter complètement les produits américains. L’entreprise a aussi trouvé que les Canadiens ne sont pas toujours certains de quelles marques sont véritablement canadiennes : plus de la moitié des répondants croyaient que Tim Hortons, Molson et Dollarama étaient des entreprises canadiennes. 

Or, ces marques ne le sont pas, malgré l’excellent coup de pub procanadien de Molson diffusé de manière opportuniste au début de la guerre commerciale. 

Les prises de contrôle et les fusions d’entreprises peuvent brouiller les structures du capital social, de sorte qu’il est parfois difficile de rattacher une entreprise à une région particulière. 

D’après l’entreprise de sondages et d’études de marché, les gens ont une perception tout aussi floue de la provenance de nos aliments. La confusion persiste lorsqu’une feuille d’érable est apposée sur une boîte de conserve, qui peut vouloir dire bien des choses, notamment que seul l’emballage a été conçu au Canada. (Voir l’encadré pour en savoir en plus.)
 

Renoncer à nos produits préférés

Depuis que Brenda et Mike Walters sont revenus de deux semaines au Mexique, ils ne parlent plus que de tarifs douaniers et de commerce international, un sujet qui les préoccupe énormément.

Mme Walters a toujours eu l’habitude de lire les étiquettes, mais maintenant, ils connaissent tous les deux les produits qui sont au moins partiellement faits au Canada. Ils préfèrent Home Hardware à Home Depot, et cela vaut pour la plupart des magasins. S’ils savent que l’entreprise est américaine, ils n’y mettront pas les pieds. M. Walters se dit tout à fait favorable au retrait des produits américains des magasins.

« C’est un peu dommage parce que j’adore le vin californien », soupire l’ancien président de la Section de Hamilton et région de Retraités fédéraux.

Pour Xiaodan Pan, professeure associée en gestion de la chaîne d’approvisionnement à l’École de gestion John Molson de l’Université Concordia à Montréal, les tensions actuelles entre le Canada et les États-Unis montrent l’importance de renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement et de miser sur une plus grande autonomie pour que le mouvement d’achats de produits canadiens perdure.

« Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, comme les guerres tarifaires, entraînent souvent une hausse des coûts et des pénuries de produits, ce qui a des répercussions à court, moyen et long terme sur les consommateurs », les obligeant à changer leurs habitudes d’achat, explique-t-elle, ajoutant que cela pourrait s’avérer difficile pour les ménages à faible revenu qui sont les plus durement touchés.

Les entreprises canadiennes doivent réduire leur exposition au risque en s’approvisionnant auprès de différents fournisseurs, assurer une plus grande stabilité dans les périodes de perturbation et maintenir des stocks stratégiques des produits essentiels.

Pour les entreprises souhaitant soutenir la demande visant une plus grande autonomie, il est crucial d’adopter une approche stratégique et une planification à long terme. Cela nécessite des investissements stratégiques dans l’expansion de la production nationale.

« En recourant à des technologies de pointe, à une main-d’œuvre qualifiée et à des politiques de soutien, les entreprises canadiennes peuvent réduire leur dépendance aux fournisseurs étrangers, renforcer la sécurité économique et bâtir une chaîne d’approvisionnement plus solide et mieux adaptée », affirme Mme Pan.

Selon Tandy Thomas, professeure de marketing à la Smith School of Business de l’Université Queen’s, le mouvement peut être maintenu si les détaillants simplifient l’achat de produits canadiens pour les consommateurs. Elle souhaiterait que l’on mette davantage de l’avant les produits canadiens pour qu’ils soient plus faciles à trouver. 

Avoir à vérifier chaque étiquette pour déterminer la provenance d’un produit peut être embêtant pour les consommateurs, qui pourraient finir par se décourager. Par contre, s’il est facile de repérer les produits, ils continueront à acheter des produits canadiens, soutient-elle. En simplifiant la transition initiale, on pourrait changer de façon durable les habitudes d’achat, ce qui aurait des effets à long terme.

Selon elle, l’intérêt porté actuellement est important non seulement pour le message qu’il véhicule, mais aussi parce qu’il s’agit d’une occasion rare. Faire ses courses à l’épicerie, explique-t-elle, est une habitude. Les habitudes d’achat ne changent que rarement au cours d’une vie, par exemple lors d’un déménagement, de l’arrivée d’un enfant ou de son départ.

« Aujourd’hui, la situation est différente : les gens revoient leurs habitudes d’achat, et c’est une occasion en or », souligne-t-elle. « C’est peut-être le côté positif de la situation ».

Avec une population de 40 millions d’habitants, le Canada a le pouvoir de changer le marché et d’exercer une influence sur celui-ci. L’imprévisibilité de la situation préoccupe beaucoup la population, et si les tensions commerciales s’intensifient, cela entraînera une hausse des prix et des pertes d’emplois. Elle estime que le contexte actuel constitue une « excellente occasion » de promouvoir les produits canadiens sur le marché.

Vers la fin de son dernier séjour annuel de six mois au Mexique, la retraitée fédérale Sheila Ducarme avait remarqué une réaction discrète, mais perceptible, aux menaces politiques des États-Unis à l’encontre de ce pays. Il y avait moins de clients dans le Walmart du coin et les Ducarme se sont souvent fait demander s’ils étaient Américains ou Canadiens. Ils s’empressaient de répondre fièrement qu’ils étaient Canadiens. Mme Ducarme, qui vit à Ottawa, a travaillé pour le gouvernement fédéral pendant 37,5 ans, d’abord au ministère de la Main-d’œuvre, puis au ministère du Développement social.

Pendant son séjour au Mexique, elle a surtout voulu acheter des produits locaux et délaisser les produits américains, ce qu’elle a continué de faire à son retour au Canada.

Elle se demande, avec de l’espoir dans la voix, si les habitudes d’achat des Canadiens reviendront un peu 
vers l’époque où l’on fréquentait davantage les petites boutiques comme les boucheries, les fromageries et les épiceries indépendantes

« Je ne me fais pas d’illusion : ce ne sera pas facile », dit-elle. « Il sera très difficile pour nous de faire face à cette situation. Mais je suis ravie que le Canada ait vendu des obligations américaines valant des milliards de dollars. »

Après une carrière de 34 ans dans la fonction publique fédérale, principalement aux douanes, puis à l’Agence des services frontaliers du Canada jusqu’à sa retraite il y a 19 ans, M. Walters encourage les Canadiensà s’adresser aux différents ordres de gouvernement et à privilégier les fournisseurs canadiens dans les appels d’offres de produits et de services. Il aimerait que les fournisseurs américains en soient expressément exclus. Selon lui, les habitants des villes frontalières devraient faire part aux gouverneurs des États voisins de leur mécontentement concernant la guerre commerciale et les encourager à inciter la Maison-Blanche à respecter l’accord commercial entre le Canada, les États-Unis et le Mexique.

C’est une démarche à laquelle Mme Hutmacher, originaire de la Colombie-Britannique, tient beaucoup, elle qui a déjà envoyé des lettres aux représentants fédéraux et provinciaux locaux. « Si personne ne parle, qui le fera? », demande-t-elle. « J’ai lu suffisamment d’histoires sur les années 1930. Personne n’a rien dit à l’époque. Nous savons vraiment ce qui se passe aujourd’hui, et nous devrions nous exprimer. »
 

S’agit-il vraiment de produits « faits au Canada »?

La présence d’une feuille d’érable ne suffit pas à elle seule : une mise en contexte pour comprendre ce que signifie réellement une étiquette s’impose parfois pour déterminer à quel point une initiative ou un produit est véritablement canadien.

La mention « Fabriqué au Canada » signifie qu’au moins 51 % des coûts directs totaux Ade production ou de fabrication du bien ont été engagés au Canada. Cette mention peut être accompagnée d’une déclaration qualificative, comme « Fait au Canada avec des composants importés » ou « Fait au Canada avec des composants canadiens et importés ».  

Selon l’Agence canadienne d’inspection des aliments, des Aingrédients provenant d’autres pays peuvent être utilisés dans des produits alimentaires si « la dernière transformation substantielle du produit » a eu lieu au Canada. La mention « Produit du Canada » signifie qu’au moins 98 % des coûts directs totaux de production ou de fabrication du produit ont été engagés au Canada.

Le Bureau de la concurrence du Canada précise qu’il ne remettra généralement pas en question une déclaration qui respecte les critères susmentionnés, mais insiste sur le fait qu’il ne certifie pas ni n’approuve les déclarations concernant le contenu canadien.
Pour plus de précisions, consultez la page web du Bureau de la concurrence.

Une autre ressource pour aider les consommateurs à repérer les produits canadiens est le site buybeaver.ca, créé par les entrepreneurs technologiques Alexandre Hamila et Christopher Dip, tous deux établis à Montréal.

 

Cet article a été publié dans le numéro du printemps 2025 de notre magazine interne, Sage. Maintenant que vous êtes ici, pourquoi ne pas télécharger le numéro complet et jeter un coup d’œil à nos anciens numéros aussi?